Trois Marseillais Plein d'Avenir. Partie 3/10 : Francis Le Belge
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Francis Vanverberghe, alias Le Belge (bien que pur marseillais), est le plus jeune du trio de gangsters phocéens qui nous intéresse dans cette série d'articles. Né en 1946 il n'est en effet pas de la même génération que ses deux compères mais plutôt un pur produit du baby-boom d'après-guerre, dont certains rejetons affamés vont quelque peu venir bousculer l'ancien Milieu à coups de calibre et de braquages en série dans les années 60-70, n'ayant ni le temps ni l'envie d'attendre sagement leur heure venir. Il est également celui qui passera le plus de temps en prison, vingt ans au total (contre 8 ans et demi pour Tany Zampa et 6 ans pour Jacky le Mat), soit plus de la moitié de sa vie d'adulte, et le plus jeune à être inscrit au Fichier Spécial de la Répression du Banditisme, à l'âge de 21 ans, contre 26 pour Zampa et 38 pour le Mat. Voici son parcours d'ombres et de lumières, de strass et de paillettes, d'argent et de violence, qui a suscité beaucoup de fantasmes chez les journalistes et ailleurs.
Son surnom il le doit à son père, François, né en 1918 à Croix (Nord) en Flandre française d'une famille d'immigrés belges (les travailleurs belges formant, jusqu'au début du XXe siècle, la plus importante communauté immigrée de France). Jeune ouvrier, François Vanverberghe part s'installer à Marseille où il travaille aux Grands Moulins Maurel dans le quartier de La Valentine à l'est de la ville, et épouse Herminia Gomez, une pied-noir espagnole d'Algérie. Bien qu'ouvrier modèle et travailleur zélé, François Vanverberghe connaîtra lui aussi, à l'instar de son fils plus tard, les geôles des Baumettes : un peu avant la guerre il est condamné à un an de prison ferme pour avoir tué involontairement un homme dans une bagarre suite à une dette de jeu, première et dernière rencontre qu'il aura avec la justice.
Installé au 16 de la rue Auphan à Saint-Mauront, en plein cœur du Marseille ouvrier, considéré aujourd'hui encore comme le quartier le plus pauvre de France, le couple déménagera un peu plus tard dans le quartier limitrophe de la Belle-de-Mai, entrelacs de bâtiments industriels et de petits immeubles décrépis étalés entre le Boulevard National et les lignes de chemin de fer au nord de la gare Saint-Charles. C'est là que né le 3 mars 1946 leur deuxième enfant, Francis, qui aura un frère, Joseph-Séraphin dit José, et deux sœurs, Jeannine et Simone, l'autre tête brûlée de la famille. Et si c'est à la Belle-de-Mai que Francis fera ses classes, son parcous le mènera loin, très loin du quartier.
Trois Marseillais plein d'avenir
Chapitre 3 : Francis le Belge, le surdoué de la Belle-de-Mai
C'est très tôt que le petit Francis Vanverberghe se fait surnommer "le Belge" par les copains du quartier, encore tout gamin, un surnom qu'il gardera tout au long de sa vie. Et le mino préfère visiblement la rue et ses aventures aux ennuyeux bancs de l'école communale : sa sœur Simone racontera même plus tard qu'âgé d'à peine 10 ans il aurait violemment cloué la main d'un professeur à son bureau avec un porte-plume !
Le voyou Emile Diaz dit Milou, qui a bien connu le Belge, raconte l'ambiance du quartier dans les années 50 : « J'ai grandit dans le quartier de la Belle-de-Mai, tenu par les apaches, dans lequel les condés entraient sur la pointe des pieds. C'est d'ailleurs l'un de mes premiers grands souvenirs, entendre les guetteurs, placés à l'entrée de la rue, qui crient : "La Police!", courir, à trois ou quatre ans, et crier à mon tour : "La police ! Les condés !", pendant que les grands balancent des pierres sur les flics pour les ralentir, ce qui permettait de cacher les armes ou la fausse monnaie, de les planquer notamment sous de faux planchers, ou de préparer la cavale de ceux qui étaient recherchés ». Et de continuer plus loin : « L'école à la communale [l'école primaire] de la Belle-de-Mai, c'est un lieu de bagarre, de racket, l'école du crime. Nous savions que nous finirions en prison car nous ne parlions que de vols, de meurtres, tout en étant fascinés par les grands voyous. Un mec qui avait tué un bijoutier, considéré comme un bourgeois, c'était un mec bien. […] Comme on ne se volait pas entre nous, faute d'être riches, on rackettait les enfants des bourgeois de la Belle-de-Mai, essentiellement des commerçants, qui allaient à l'école des curés. On les appelait les Croa-croa, les grenouilles de bénitier. Il nous suffisait de traverser la place Bernard-Cadenat, il y avait même Francis le Belge, dit le Ge-bel, il avait trois ans de moins que moi, il était petit mais il était avec nous, et quand les gamins sortaient de l'école, on faisait tous : "Croa, croa, croa", avant de leur voler le goûter. Aujourd'hui on parlerait de racket, pourtant il faut relativiser : c'était juste un peu d'argent, un jouet, des bonbons. Des petites choses. Jusqu'au jour où j'ai utilisé une carabine à plomb. J'avais accroché un gamin à plusieurs reprises et comme il ne voulait pas payer, je lui ai tiré dessus et crevé l'œil » .
Outre la rue, Francis fréquente également les terrains de football et joue à l'Etoile Bellevue, un club du quartier, rêvant adolescent de se lancer dans une carrière professionnelle. Mais une grave blessure au genoux vient mettre un terme définitif à ses espérances. Lâchant rapidement l'école il se met à travailler comme déménageur dès l'âge de 14 ans, se forgeant une athlétique carrure, et commet ses premiers larcins, des petits casses et des vols à la roulotte. A 16 ans, en 1962, il est pris la main dans le sac en plein cambriolage et part pour six mois au quartier des mineurs de la prison des Baumettes.
De retour à l'air libre il reprend les vols de plus bel avec les copains et se fait petit mac, presque un passage obligé à l'époque. Fort de son charme tout méditerranéen Francis est alors un véritable tombeur de ces dames dans la cité phocéenne, sachant jouer de tout ses atouts dans les boîtes du Vieux-Port et de l'Opéra pour multiplier les conquêtes féminines dont une poignée va se mettre à travailler pour le "Marlon Brando de la Belle-de-Mai", histoire d'arrondir ses fins de mois en supplément des casses. Résultat : en 1964, âgé de 18 ans, il est incarcéré puis condamné à 15 mois de prison ferme pour proxénétisme aggravé.
Les Années Braquo
Francis le Belge est alors un tout jeune voyou affamé d'oseille, qui veut en gagner vite et beaucoup, déjà fort d'un charisme qui le classe au-dessus dans son équipe. Il redouble d'ardeur dans les vols et tente sa chance dans le braquage, la spécialité de la nouvelle génération de voyous issus du baby boom, tapant notamment avec Antoine Cossu dit Tony, de six ans son aîné, un autre gosse turbulent de la Belle-de-Mai qui à 25 ans est déjà un voyou chevronné connu pour des attaques à main armée commises à travers toute la France, qu'on surnommera plus tard Tony l'Anguille pour ses évasions à répétition et qui deviendra en 1976 le compagnon de Simone Vanverberghe, la sœur de Francis. Les deux hommes braquent alors à tour de bras avec les amis de jeunesse, Jean-Claude Bonello dit Jeannot Cigare, Charles et Noël Filippi, Robert Di Russo dit Gros Bras, Albert Franconi dit Bébert et quelques autres, dont un certain Laurent Fiocconi alias Charlot né en 1941, basé entre Paris et la côte, futur grand trafiquant de la French Connection et neveux des cousins Giudicelli, des gros poissons de Toulon et de Nice donnant dans les casses, le proxénétisme, la contrebande de cigarettes et le trafic de came.
En attendant, ces petits jeunes de la Belle-de-Mai ne s'en font pas et savourent avec insouciance leur douce vie de voyou entre Marseille et Paris, et ce malgré les mandats d'arrêt qui frappent certains d'entre eux. Le 26 octobre 1966 deux inspecteurs du GRB interpellent Antoine Cossu au bar de la Gaîté rue Danton en plein cœur de son quartier, alors recherché pour attaque à main armée, tentative de meurtre et évasion. C'est alors que déboulent Francis et une demi-douzaine de copains qui retournent le bar dans une terrible bagarre pour arracher leur ami. Dans la mêlée un des policiers loge une balle dans le dos de Tony Cossu qui avait pris la fuite, avant de courir chercher du renfort à l'Evêché. Rattrapé un mois plus tard le voyou fausse de nouveau compagnie à la police en s'enfuyant menottes aux poignées du commissariat central de Marseille, et gagne définitivement son surnom de "Tony l'Anguille". Son complice Francis Vanverberghe est lui aussi appréhendé début 67 et écope d'un an de prison ferme pour coups et blessures volontaires sur représentant des forces de l'ordre. C'est pendant cette incarcération que son père décède d'une chute mortelle le 24 juin 1967, puis que née sa fille Sylvie le 26 juillet, issue d'une relation illégitime avec Noëlle Borel, une fille du quartier qu'il fréquente depuis l'adolescence.
Libéré en 1968 Francis le Belge, alors âgé de vingt ans, réenfile la cagoule avec les copains et multiplie les attaques de banque sur la Côte, à Paris, en Corse et dans toute la France, profitant toujours de la comptée régulière de quelques péripatéticiennes qui travaillent pour lui. En mai 1968 son ami Tony Cossu se fait de nouveau arrêté à Toulouse et se voit embastillé à la prison Saint-Michel. Fidèle à sa réputation, à peine incarcéré il ne pense qu'à s'évader et c'est Francis le Belge lui-même qui organise cette fois l'opération. A l'aide de barreaux sciés, de cordes confectionnées avec des draps et d'un grappin de fortune bricolé avec les anses d'une poubelle, Tony l'Anguille parvient tant bien que mal à atteindre le mur d'enceinte de la prison après de nombreuses acrobaties, Francis et ses complices lui lançant alors un câble depuis l'extérieur et arrachant leur ami à toute berzingue. Direction : l'Espagne et sa Costa Brava, où la bande a rejoint depuis peu Charlot Fiocconi et son ami toulonnais Jean-Claude Kella dit le Diable, recherché en France pour le braquage de la société Gaumont à Paris et la fusillade qui s'en suivit.
Là, entre Barcelone, Gérone et la côte, ils profitent certes du soleil et des jolies filles pendant plusieurs mois mais s'adonnent surtout aux joies du braquo avec la bande de Marseille (Jeannot Cigare, Robert Di Russo, Bébert Franconi et compagnie) mais aussi avec les amis toulonnais de Kella - Nedo Pedri (le père du célèbre jet-setteur Jean-Roch), Albert Argenti... - ou encore avec l'équipe de Pierre Rémond dit Nonoeil, un solide braqueur lyonnais avec qui ils finiront par se brouiller et qui mourra dans une fusillade avec la police en 1969.
C'est à cette époque que Francis Vanverberghe entre au Fichier Spécial du Grand Banditisme, le 26 février 1968, âgé d'à peine 21 ans, avec la mention "individu dangereux vivant du vol et du proxénétisme". Il faut dire que le petit Francis a fait sa place à la vitesse de l'éclair, fort d'un courage et d'une "mentale" à toute épreuve, intelligent, charismatique et très loyal. Il finit donc inévitablement par attirer l'œil de la police espagnole qui l'interpelle en décembre 1968 avec une partie de l'équipe à Gérone, avant de les relâcher faute de preuves. Jean-Claude Kella, qui a échappé à l'arrestation, préfère lui s'envoler pour New-York se mettre au vert où il devient le protégé d'un certain Louis Cirillo, l'un des plus gros acheteurs d'héroïne de la ville, travaillant pour la famille Genovese, l'une des cinq familles de la mafia italo-américaine à New-York. C'est qu'entretemps, l'équipe du Belge s'est enquillée à fond dans la came.
Les Années Stups
En effet dans le courant de l'année 1968, en parallèle des braquages, Jean-Claude Kella et Charlot Fiocconi se sont lancés dans le bizness de la French Connection, aiguillés par des amis de ses oncles Giudicelli. Se fournissant en drogue auprès de Paul Pajanacci, un corse dont l'équipe produit dit-on la meilleure blanche de Marseille et qui travaille notamment avec Auguste Ricord, un des plus importants trafiquants de la French, et Jean-Jé Colonna, futur gros bonnet de la Corse-du-Sud, le duo conditionne la marchandise à Paris avant de l'envoyer aux Etats-Unis via le port du Havre, d'abord à l'aide de passeurs qui se scotchent des paquets de 2,5 kilos sur le corps, puis via des valises à double fond transportant des lots de 5 kilos, et enfin grâce à des voitures aménagées dissimulant jusqu'à 80 kilos de blanche par voyage ! Les sommes en jeu deviennent donc rapidement faramineuses et Fiocconi associe le Belge et ses amis à sa filière.
L'équipe commence alors à organiser des envois mutualisés, forte de l'inestimable contact de Louis Cirillo à New-York, synonyme de fortune dans le Milieu, mais travaillant aussi avec d'autres gros acheteurs comme Guido Rendel de Milan, représentant de la famille Benevento à Paris, ou Antonio Florès du Bronx. Francis le Belge, Charlot Fiocconi et les autres, que l'on commence à appeler la "bande du Picpus" du nom d'un club parisien qui a leurs faveurs, organisent alors de larges tours de table pour réunir l'argent et la matière première nécessaires à ces opérations, la drogue "tournée" dans des labos clandestins du sud de la France leur étant confiée par des équipes bien en place, à eux ensuite de mutualiser les moyens et d'organiser l'envoi vers les Etats-Unis, touchant 1000 dollars pour chaque kilo expédié et près de 10 000 de marge sur leur propre marchandise.
En général les négociations se passent au Fouquet's, le célèbre café-restaurant des Champs-Elysées alors haut-lieu des rencontres entre trafiquants, ou au bar Le Consul avenue de Friedland possession de leur associé Jo Signoli, un trafiquant notoire membre du SAC (la "police parallèle" créée sous Charles De Gaulle) travaillant en binôme avec Alexandre Salles, lui-même fils d'un grand chimiste de la French. Les tours de table sont alors larges et font croquer beaucoup de monde, y compris Jacky le Mat avec qui le Belge s'est lié d'amitié peu avant et Tany Zampa qui à l'époque n'est pas encore devenu son ennemie intime.
Francis Vanverberghe est alors de plus en plus présent à Paris pour superviser les affaires et s'attache fortement au quartier des Champs-Elysées et de l'Etoile qui a ses faveurs, y entretenant une relation tumultueuse avec l'actrice Maria Vincent, de quinze ans son aînée, qui l'introduit dans les coulisses du show-bizness. Mais c'est à Marseille que naissent les premières inimités avec Tany Zampa, l'équipe du Belge et de Fiocconi se rendant compte qu'il leur fournit une came de très mauvaise qualité dans les envois mutualisés, Zampa jurant ses grands dieux qu'on ne l'y reprendra plus et qu'il châtiera les coupables. On en est pas encore aux coups de calibre, mais déjà une certaine méfiance s'installe entre le jeune Vanverberghe et le caïd napolitain de 13 ans son aîné.
L'entreprise criminelle de ces jeunes gens est alors florissante, mais n'empêche pas les coups durs. En août 1970 Laurent "Charlot" Fiocconi et Jean-Claude "le Diable" Kella sont arrêtés à Gênes puis extradés vers les Etats-Unis où la justice souhaite les entendre dans une affaire de stups. Condamné à 15 ans de prison Laurent Fiocconi faussera compagnie aux geôles américaines le 22 septembre 1974 en s'évadant du pénitencier de West Street à New-York avec sept autres détenus à l'aide de clefs falsifiées, et partira cavaler en Amérique du Sud pendant 14 années, s'activant à fond dans le trafic de cocaïne avec les narcos de Colombie, du Mexique, de Bolivie, du Brésil... Kella retrouvera lui l'air libre en 1979 grâce au paiement d'une forte caution et continuera tout comme son ex-associé les trafics délictueux d'envergure internationale.
Fiocconi-Kella hors-jeu, le Belge reprend donc logiquement leur parcours de came. Et les affaires semblent alors pour le moins prospères. Quelques mois avant leur arrestation Charlot Fiocconi et Jean-Claude Kella avaient approché un certain Alexandre Orsatelli dit Lisa, un voyou corse sexagénaire, afin de l'associer dans leurs affaires en utilisant son thonier de vingt mètres, le Caprice des Temps, et avaient recruté l'aventurier Marcel Boucan pour faire la traversée. Le bateau, bourré d'une centaine de kilos d'héro planqués dans des caches aménagées, accosta sur les côtes de Floride en juin 70 deux mois avant l'arrestation du duo. Un voyage qui rapporta près de huit millions de dollars aux intéressés. Une autre traversée fructueuse aura lieu en 1971, puis la troisième tombe à l'eau : les douaniers de Villefranche découvrent en effet le 28 février 1972 près de 420 kilos d'héroïne à bord du Caprice des Temps, record mondial de la plus grosse saisie de schnouff, jamais égalé depuis ! Le capitaine Marcel Boucan tombe entre les mains de la police, ainsi que l'acheteur américain Louis Cirillo aux Etats-Unis et plusieurs passeurs. Francis le Belge, lui, ne perd rien pour attendre. Et ils se chuchote dans les rues de Marseille que Tany Zampa ne serait pas tout à fait étranger à la découverte "fortuite" des kilos de came du Caprice des Temps par la douane de Villefranche...
C'est que cette année 1972 est riche en coups durs pour le mino de la Belle-de-Mai, tout juste âgé de 26 ans. Après avoir perdu 420 kilos de came le 27 février il perd cette fois trois amis d'enfance le 5 septembre : Robert Di Russo dit Gros Bras, Jean-Claude Bonello dit Jeannot Cigare et Daniel Lamberti, tous trois retrouvés criblés de balles dans une voiture boulevard Finat-Duclos au Canet, dans les quartiers nord de Marseille. Premier acte de la terrible guerre que vont se mener le Belge et Tany Zampa dans les rues de Marseille et au-delà, comme nous le verrons dans le prochain article. A bientôt !