Trois Marseillais Plein d'Avenir. Partie 1/10 : Tany Zampa
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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« Les auteurs actuels de hold-up sont la plupart du temps de très jeunes gens qui se différencient de leurs prédécesseurs par leur âge, alors qu'autrefois le truand suivait une progression dans la criminalité : il fallait qu'il ait atteint un certain échelon dans la hiérarchie du banditisme pour être admis dans une bande commettant des braquages. Les nouveaux gangsters eux tirent très fréquemment et tuent souvent ».
Non il ne s'agit pas de la dernière déclaration de Samia Ghali ou de l'interview d'un commissaire marseillais, mais d'une phrase de Monsieur Zanetti, directeur départemental des services de police des Bouches-du-Rhône, tiré du reportage "Marseille : les nouveaux gangsters" daté de... 1963 ! Comme quoi, depuis 50 ans au moins, la rengaine est toujours la même : ils sont de plus en plus jeunes, de plus en plus violents, de moins en moins pros... Pourtant, comme je l'expliquais déjà dans mon article Une société de plus en plus violente ?, les chiffres sont là pour nous prouver le contraire : de 44 règlements de compte en 1985 dans les Bouches-du-Rhône on est passé à 18 en 2015. Quant à la soi-disante avalanche de meurtres à la kalachnikov dans la cité phocéenne, là aussi ça relève du fantasme médiatique : entre 2010 et 2015 cinq assassinats par an en moyenne ont été commis avec l'arme de guerre russe dans les Bouches-du-Rhône. C'est bien sûr trop, mais très loin de ce que laissent entendre les médias locaux et nationaux, assurément.
Ceci étant dit (il est toujours bon de le rappeler tant on nous bassine avec la sûr-dangerosité supposée de Marseille) recentrons-nous sur notre sujet du moment : une série de dix articles retraçant les parcours de trois figures marseillaises qui n'ont cessé tout au long de leur carrière de se croiser, de s'allier et de se combattre : Tany Zampa, Jacky le Mat et Francis le Belge. A travers leur parcours c'est tout un pan de l'Histoire du Milieu marseillais que nous allons aborder, des années 50 dominées par les clans corses et le maire Gaston Defferre aux années 90 durant lesquelles explosent le bizness des machines à sous et le trafic de cannabis, en passant par la French Connection, le bar des Trois Canards, les guerres des gangs, la chute des Guérini, les casinos de la côte, le casse de Nice, la tuerie du Téléphone, la fusillade du Tanagra, le juge Michel, l'hécatombe du Retro 25, les liens avec la politique, les braquages, les filles, les trafics, le racket, la came, les jeux... une série d'articles qui nous mènera au coeur de la Babel marseillaise peuplée de toutes les tribus de la Méditerranée et d'au-delà, le long de la Cannebière, sur le Vieux Port, dans les boîtes de l'Opéra, dans les ruelles du Panier, de la Belle-de-Mai, de Saint-Mauront, de Saint-Lazare, d'Endoume, de Belsunce, à la Cayolle, aux Catalans, à la Pointe-Rouge, sur la Corniche, au Prado, dans les Quartiers Nords, mais aussi à Paris, Nice, Aix, Grenoble, Toulouse, sur la Cote d'Azur, au Maroc, en Belgique, en Espagne, aux Etats-Unis, en Afrique, en Amérique du Sud... Mais trêve de plaisanteries, entrons donc dans le vif du sujet.
Trois Marseillais plein d'avenir
Chapitre 1 : Tany Zampa, l'enfant du Milieu
Tany Zampa, qui fut le premier des trois célèbres gangsters qui nous intéressent à connaître une médiatisation sur le plan national, est pour sa part un pur produit du Milieu marseillais. Bien que né le 18 mars 1933 son père n'aurait déclaré la naissance du petit Gaétan que le 1e avril suivant pour éviter que le mois de mars (le mois des fous en Campanie) ne lui porte l'œil - la plus grande hantise de tout bon napolitain qui se respecte. Quatre mois plus tard, le 24 juillet, naissait un petit frère mais d'une autre femme : Jean Toci, fils de Jeanne Toci, lui aussi promis à une belle et longue carrière criminelle aux côtés de son aîné.
Deuxième enfant de Mathieu Zampa et de Lucie Lande, une "babi" (descendante d'immigrés italiens) originaire des Pouilles, Tany aura quatre sœurs : Rosette, Olga, Josette et Francine. Il né rue Mathieu Stilatti, que certains surnommaient alors "la Traverse des Napolitains", dans le quartier populaire du Racati à Saint-Lazare juste derrière la gare Saint-Charles, dont les ruelles ont aujourd'hui été remplacées par une fac de science et une cité HLM, et dont le nom a longtemps signifié "argent" en argot marseillais (le quartier abritait alors des parties de jeux clandestines, d'où l'origine possible du mot selon certains étymologistes de la ville). Enfant déjà, avec sa petite sœur Olga et les copains du quartier Tany fait les 400 coups à Saint-Lazare et dans le quartier limitrophe de Saint-Mauront. En 1943 leur père achète une petite maison au sud de Marseille à la Cayolle pour mettre ses enfants à l'abris des bombardements et y ouvre une épicerie-boucherie.
Mais si le paternel aime à passer ses dimanches dans sa maison de campagne à l'entrée des calanques, il lui préfère de très loin les ruelles mal famées du centre-ville et en particulier celles de l'Opéra, à deux pas du Vieux Port, LE quartier de la nuit marseillaise et surtout haut-lieu du Milieu phocéen fréquenté par tout ce que la ville compte de caïds. C'est qu'à Marseille Mathieu Zampa, beau gosse aussi élégant que colérique, n'a pas tout à fait la réputation d'un enfant de cœur. Né en 1902 d'un couple d'immigrés napolitains il se fait navigateur très jeune et en profite pour prendre des contacts bien utiles à travers les colonies françaises, trafiquant en pleine quiétude des produits de toutes sortes. De retour à Marseille dans les années 30 il se rapproche des caïds Paul Carbone et François Spirito et de leur allié l'adjoint au maire Simon Sabiani, fréquente la pègre, protège ses premières gagneuses et finit par ouvrir un bar qui se transforme la nuit en tripot clandestin, sur la place Marceau entre le célèbre quartier du Panier et la non moins célèbre Canebière. Pendant la guerre il se rapproche des frères Guérini en pleine ascension et d'Antoine Regazzi, dont le fils Gaby deviendra le meilleur ami de Tany, puis à la Libération reprend dans le quartier de l'Opéra un bar rue Lulli que lui a abandonné Mathieu Costa, une figure corse montée faire fortune à la capitale où il trouvera la mort en 1949, poignardé par Jeannot Federicci dit le Fou qui voulait racketter un de ses établissements. Il sera lui-même abattu trois semaines plus tard à Marseille par les amis du défunt. Entretemps Mathieu Zampa n'aura lui pas rencontré le bras vengeur d'un ennemie mais celui tout aussi impitoyable de la justice : en 1948 il est inculpé pour proxénétisme aggravé et infraction à la législation sur les jeux et part pour dix ans au bagne où il retrouve son ami Antoine Regazzi. Libéré quelques années plus tard mais interdit de territoire national pour dix années supplémentaires il part s'établir à Dakar où il rejoint Aimée, une jeune prostituée juive qu'il a connu à Saïgon dans les années 40 quand il faisait du trafic de piastres, et y ouvre un florissant cabaret qui accueille notamment les "dames" de ses amis corses de Marseille. Il ne retrouvera finalement le pavé phocéen qu'en 1972 et s'éteindra un an plus tard, âgé de 70 ans.
Petit Tany deviendra grand
Entretemps son fils Tany aura eu lui aussi tout le loisir de se faire un nom. Il faut dire qu'avec un tel modèle paternel le jeune Gaétan était plus enclin à fréquenter les bancs du commissariat que ceux du lycée. Il traîne alors avec assiduité dans les ruelles du centre-ville et tout particulièrement au Panier, le plus vieux quartier de France, "peuplé de petites gens et de mauvais garçons, d'émigrés italiens, arméniens, juifs, indochinois, de navigateurs, de nervis et de putes, dans un brassage ethnique extraordinaire" écrira le patron de l'Antigang Georges N'Guyen Van Loc dit Le Chinois dans son autobiographie, lui qui est né au Panier le 2 avril 1933, le lendemain de la naissance officielle du petit Zampa. Et de continuer plus loin : "Au fil des siècles s'était tissé un pittoresque dédale où tous les accents du monde se donnaient rendez-vous. Là, pour survivre, il fallait se faire respecter. Dès le berceau, j'ai été façonné à cette école : ne pas courber la tête, ne pas perdre la face. Les gosses des vieux quartiers se taillaient un territoire à leur mesure. Ils vivaient dans la rue, livrés à eux-mêmes, organisés en bandes rivales. Leur éducation, ils la recevaient de la rude école du pavé, où on ne pardonnait rien aux chiffes molles. Malheur aux timorés, aux lâches, aux mouchards ! Chacun devait faire ses preuves. Des bagarres incessantes opposaient des gamins d'une dizaine d'années sous l'œil blasé ou amusé des adultes. Quelquefois, une mégère excédée nous balançait un seau d'eau en hurlant des injures. Mais, la plupart du temps, personne n'intervenait dans nos joutes martiales". Tany est de ces minos turbulents du vieux Marseille et se la fait avec ceux de la rue Coutellerie, au bas du quartier, ennemies intimes des bandes de la Vieille-Charité et de la place de Lenche dont font partie le Chinois mais aussi Robert Sagna dit Bobus le Noir, d'origine sénégalaise, future figure du Milieu marseillais qui marchera un temps avec Tany au début de sa carrière avant de naviguer entre le proxénétisme, le racket et les établissements de nuit, tout en fréquentant assidument tout le gratin du show-bizness jusqu'à sa mort naturelle dans les années 90.
En attendant, alors qu'il fait déjà office de meneur dans sa bande de gamins, le petit Tany se lie d'amitié avec Gaby Regazzi, dernier rejeton d'une famille napolitaine de Mourepiane, village industriel du nord de Marseille limitrophe de l'Estaque. En 1948 le père de Tany part au bagne pour dix ans où il retrouve le père de Gaby. De quoi renforcer encore un peu plus les liens invisibles qui lie le destin de ces deux minos de Marseille. Tany a alors 14 ans et quitte l'école à la fin de l'année. A cette époque le Nabo ("napolitain" en marseillais) s'est déjà forgé une réputation de véritable castagneur dans le centre-ville de la cité phocéenne, connu pour ses coups de sang ravageurs accompagnés d'un bégaiement compulsif qui ne le lâchera plus et dont personne n'osera jamais se moquer. C'est d'ailleurs dans une bagarre quelques années plus tard qu'il gagnera la cicatrice qui lui barre le sourcil gauche, résultat d'un double coup de boule infligé à deux importuns qui avaient osé le toiser au Vamping, un cabaret du quartier des Catalans qui a ses faveurs, laissant les deux hommes inanimés sur le trottoir.
Mais bien que bagarreur Zampa n'est pas encore un criminel endurcit, et adolescent le mino enchaîne les petits boulots manuels, tour à tour mécanicien, mitron et manutentionnaire sur les docks. Rapidement pourtant ses payes d'ouvrier ne suffisent plus à subvenir à son train de vie coûteux. Tany est un flambeur, un playboy invétéré qui aime à sortir dans les cabarets et les night-clubs du Vieux Port et de la Corniche, un joueur passionné de belles voitures et de vitesse (à tel point qu'il finira une de ses virées en Alfa Roméo le moteur baigné dans la Méditerranée). Il se laisse aller aux cambriolages avec ses compères d'alors, son demi-frère Jeannot Toci, Gaby Regazzi, Robert le Noir, Jean Der Ohanessian et quelques autres, tapant les villas luxueuses du sud de la ville et d'ailleurs, et prend goût à l'argent facile. Au vol s'ajoute rapidement le proxénétisme, Tany jouant de son charme et de son bagout pour attirer les femmes de petite vertu à lui. Sa première rencontre sérieuse avec la justice a lieu en 1951 à la prison de Draguignan où, âgé de 18 ans, il fait six mois de préventive pour un vol de voiture dans le Var.
Le 5 août 1953 il commet son premier véritable coup d'éclat : ce jour-là le maire de Marseille fraîchement élu, Gaston Defferre, voit son QG de la rédaction du Provençal, rue Francis Davso, cerné par des milliers de manifestants prêts au lynchage et à la mise à sac des locaux. Il appelle à la rescousse un de ses amis voyous, Louis Rossi, qui demande à Tany dont il a connu le père en Afrique de lui prêter main forte avec ses copains. L'équipe déboule au milieu de la foule mitraillettes au poing, extrait le maire du siège du Provençal et l'escorte jusqu'à la mairie sans qu'aucun manifestant n'ose s'interposer (il faut dire que cinq ans auparavant en 1947 les frères Guérini n'avaient pas hésité à tirer sur la foule venue protester devant leurs bars du quartier de l'Opéra, laissant un manifestant mort sur le pavé) . Tany Zampa a alors tout juste vingt ans et met un pied dans la cour des grands. Il a désormais le respect du maire de Marseille lui-même mais aussi celui de ses amis voyous qui connaissaient déjà bien son père, les frères Venturi, Dominique Nicoli, Louis Rossi, et surtout le clan corse des frères Guérini qui sont en train de prendre une position de premier plan dans la Marseille interlope. Des liens renforcés par une histoire qui a couru un temps dans la cité phocéenne : un soir d'été Tany aurait sauvé Antoine Guérini d'une agression lorsqu'à la sortie du Versailles, l'un de ses cabarets rue Sénac de Meilhan, deux hommes armés étaient venus s'en prendre à lui pour le dépouiller, voir pire. A vingt ans le petit Tany est ainsi déjà "quelqu'un" dans le Milieu marseillais, fort d'un tempérament tapageur et d'une tchatche à toute épreuve.
Le 27 novembre 1956 la forte tête de 23 ans fait à nouveau parler d'elle : ce jour-là a lieu une descente de police dans un bar du Vieux Port, les Canotiers, le QG de Tany et ses amis. Siroptant tranquillement un verre avec son demi-frère Jeannot Toci le jeune homme refuse par esprit de défi de présenter ses papiers aux policiers, occasionnant une terrible mêlée avec bouteilles cassées et chaises qui volent. Embarqué à l'Evêché tant bien que mal avec son frère il continue de refuser de décliner son identité et déclenche une nouvelle bagarre générale à laquelle se mêlent d'autres voyous interpellés, causant une pagaille sans nom au commissariat central de Marseille!
Tany, Gaby, Jacky, Gégé, Bert et les autres
En somme Tany est en train de se faire un nom, apprécié pour son courage et sa fougue, généreux, craint pour ses accès de colère redoutables, plein d'une tchatche et d'une théâtralité toute napolitaine. Son compère de toujours, Gaby Regazzi, est lui d'un tempérament tout autre : discret et mutique, à la force froide qui impressionne, il n'en reste pas moins un gangster craint et très dangereux prompte à sortir le calibre en toutes occasions, fort du soutien de ses deux frères aînés René et Mimi Regazzi. Avec leurs amis ils forment une petite équipe de "jeunes qui montent" qu'on ne va pas tarder à surnommer "les Nabos" du fait que ses figures dominantes -Tany et Gaby- soient d'origine napolitaine, emmenant avec eux notamment Jean Toci le demi-frère de Tany, Jean-Pierre Roche dit Bimbo qui sera bientôt le relais de l'équipe à Nice, Jean Der Ohanessian qui fréquente Tany et Gaby depuis leurs jeunes années, Gérard Vigier, reconnu pour son intelligence et son courage (il ira jusqu'à se coudre les lèvres en prison pour portester de son innocence), Robert Seferian dit Bert l'Arménien qui a pour base arrière Manosque et les Alpes-de-Haute-Provence et dont le frère Albert dit le Criquet fait lui ses classes à Paris en compagnie des voyous de la banlieue sud, le futur "gang des Siciliens", Jean-Marie Lucchesi dit Nono et bientôt Jacques Imbert dit Jacky le Mat (le fou), une tête brûlée née à Toulouse en 1929 qui se lie d'une amitié très forte avec Tany à la fin des années 50 par le biais de connaissances communes.
A force de se faire remarquer la police devait bien finir par se rendre compte que monsieur Gaétan Zampa n'était pas qu'une forte tête refusant de décliner son identité lors des descentes, et l'intéressé se voit inévitablement inscrit au Fichier Central du Grand Banditisme en 1959, alors âgé de 26 ans. Il est à ce moment-là père d'un petit garçon de deux ans, Mathieu, né de l'union fugace avec une vendeuse de fleurs de la ville. Ce qui ne l'empêche pas, loin de là, de continuer ses activités délictueuses. Il tient alors un hôtel de passes rue de la Tour dans l'inévitable quartier de l'Opéra, et commence avec son équipe à racketter les établissements du bord de mer à la Pointe-Rouge, aux Catalans et sur la Corniche, mettant également à l'amende quelques macs du centre-ville pour leur apprendre à "ne plus se la raconter". Les casses et les braquages sont bien évidemment eux aussi de la partie, Gaby Regazzi s'étant notamment rapproché du Gang des Blouses Grises, une redoutable équipe de braqueurs marseillais spécialisée dans l'attaque de transports de fonds qui a défrayé la chronique entre 1954 et 1960.
Mais surtout Tany est amené à cette époque à se rendre de plus en plus souvent à Paris pour affaires, s'improvise impresario en enregistrant deux disques pour un cousin qui fera la première partie de Joséphine Baker à l'Olympia, et fréquente assidûment une prestigieuse adresse de Pigalle : le bar des Trois Canards, propriété du babi marseillais Marius Bertella qui en a fait le rendez-vous des voyous méridionaux de la capitale (voir le chapitre "La province à Paris" de mon article Paris 60's). Avec une dizaine de fidèles ils forment une terrible bande de racketteurs qui terrorise les proxos de Paris et "descend à la cave" les payeurs récalcitrants sommés d'aligner les billets s'ils ne veulent pas subir une séance de torture en bonne et due forme. Sachant canaliser l'énergie et la fougue de la jeunesse mieux que n'importe qui la bande des Trois Canards s'associe régulièrement à des voyous en herbe venus leur prêter main forte, une impressionnante faune interlope naviguant autour du noyau central, parisiens comme sudistes. Tany Zampa et ses amis sont de ceux-là, apprenant le métier à vitesse grand V au contact de ces truands aguerris et étoffant considérablement leur carnet d'adresses.
Côté marseillais si Gaby Regazzi s'adonne avec passion aux braquages fructueux son compère Tany signe lui un casse retentissant au début des années 60 : le hold-up de la caisse d'allocations familiales de Marseille dans la nuit du 1e au 2 janvier 1961, rue des Convalescents entre la gare et le cours Belsunce, en compagnie de Bert Seferian et René Betolacce, le Nabo braquant les convoyeurs de fonds à leur arrivée dans l'établissement où il les attendait patiemment depuis la veille au soir, s'étant laissé discrètement enfermé à l'intérieur grâce à la complicité d'un employé infiltré. A la suite de ce vol retentissant Zampa va se planquer à Paris et se fait interpeller un peu plus tard, se tapant vingt mois de préventive à la prison de la Santé.
C'est à sa sortie que Tany et son équipe se rapprochent d'un certain Robert Blémant au bar des Trois Canards, ex-commissaire de police devenu un voyou de premier plan, lié à de très grands noms du Milieu comme celui des frères Guérini, de l'empereur des jeux Marcel Francisci, du trafiquant international Paul Mondoloni ou encore de Nick Venturi, magouilleur haut-standing très proche du maire Gaston Defferre. Petit à petit l'équipe des Nabos devient la force vive de la "mouvance Blémant", protégeant notamment ses établissements de nuit, et met ainsi un pied dans le très très grand banditisme. Ce qui n'empêche pas Gaétan Zampa d'être à nouveau arrêté en novembre 1964 avec Jean Der Ohanessian devant le Méditerranée, QG des Guérini sur le Vieux Port, dans une interpellation mouvementée durant laquelle Jacky le Mat et Gaby Regazzi parviennent à prendre la fuite. Tany pour sa part, endossant la responsabilité des armes retrouvées dans la voiture du quatuor, est condamné le 23 décembre 1965 à six ans de prison. Cet important arsenal laisse en tout cas à penser que le Napolitain et ses amis n'étaient pas venu devant le Méditerranée pour conter fleurette aux caïds corses...
Les Nabos montent en puissance
Pendant l'incarcération de Tany, à l'extérieur c'est en effet la tornade. Le conflit larvé entre Antoine Guérini et Robert Blémant pour des histoires de jeux à Paris (ils ont été associé dans la juteuse affaire du Grand Cercle avec d'autres barons des tapis verts) s'envenime. Et la rivalité entre les deux hommes arrive rapidement à son point de non retour : le 4 mai 1965 vers 19h Robert Blémant est tué d'une rafale de mitraillette à bord de sa voiture sur une route aux alentours de Salon-de-Provence, à 40 kilomètres au nord de Marseille. Le début de la fin pour les Guérini. Les assassins et leurs complices sont tués les uns après les autres dans les années qui suivent par les alliés de Blémant, tous ou presque des anciens du bar des Trois Canards, au premier lieu desquels l'équipe des "Napolitains" raconte-t-on alors. La vie d'Antoine Guérini est elle même en sursis jusqu'à ce qu'il commette l'irréparable en juin 1967. Ce jour-là il se serait violemment disputé avec Marcel Francisci, allié de Blémant et patron de plusieurs gros cercles de jeux à Paris et à l'étranger, menaçant le baron corse de son pistolet automatique. Ni une ni deux le "Grand Marcel" dépêche ses alliés du gang des Nabos pour en finir une fois pour toutes, et le 23 juin 67 Antoine Guérini n'est plus. Il a été abattu dans l'après-midi de onze balles de 11,43 tirées par deux hommes à moto alors qu'il faisait le plein en compagnie de son fils Félix à une station-service de l'avenue Saint-Julien dans le quartier de Beaumont, certains ayant vu derrière le duo d'assassins la main de Gaby Regazzi et de Jacky le Mat.
Pendant l'enterrement d'Antoine en Corse la villa marseillaise du défunt est cambriolée et l'un des voleurs, Claude Mandroyan, rattrapé et enlevé par les membres du clan Guérini. Son corps est retrouvé le lendemain entre Cassis et La Ciotat, criblé de balles et portant les traces de terribles tortures. Le 4 août la police arrête Barthélémy Guérini dit Mémé et ses frères François et Pascal ainsi que cinq autres complices présumés. Mémé en prend pour vingt ans, Pascal pour quinze et leur frère François meurt en prison avant le procès. Le fils naturel de Mémé, René-Antoine Mondoloni, suspecté d'avoir activement participé à l'assassinat de Robert Blémant mais protégé de ses ennemies par une incarcération de 30 mois, est tué peu après sa libération en 1969 dans sa chambre d'hôpital de Cavaillon, poignardé dans son sommeil de six coups de couteau sous les yeux de son cousin Félix, qui avait déjà assisté à la mort de son père Antoine deux ans plus tôt.
Bref : les Guérini ne sont plus, place à la nouvelle génération.
Pendant ce temps, le 18 juin 1966, Gaétan Zampa s'est marié en prison avec Christiane Convers, une jeune fille de bonne famille qui lui avait tapé dans l'œil quatre ans plus tôt à Marseille, charmant Tany par une élégance et une prestance à laquelle il n'était pas habitué au contact des femmes de mauvaise vie et des "cagoles" avec qui il fricotait habituellement. Le couple a commencé sa vie matriarcale à la prison des Baumettes en 1966, il la finira au même endroit 18 ans plus tard dans la souffrance et le sang.
En attendant, celui que l'on appellera bientôt "le Grand" sort de prison en février 1970 et parvient à faire sauter deux ans plus tard l'interdiction de séjour dans les Bouche-du-Rhône qui pèse sur ses épaules, naviguant dans l'intermède entre Paris, Grenoble et Manosque qui est depuis longtemps une ville-refuge pour de nombreux marseillais en cavale, et où habitent son demi-frère Jeannot Toci et son vieil ami 'Bert Seferian. Dehors les choses ont changé, l'équipe des Nabos a pris du galon et Zampa a eu tout le temps d'élaborer des rêves de grandeur démesurés pendant son incarcération. Il va reprendre les rênes de la bande avec, comme toujours, son inséparable ami Gaby Regazzi pour l'épauler, moins voyant que son acolyte mais tout aussi important. En réalité les deux facettes d'une même pièce, côté lumière pour l'un et ombre pour l'autre. Les années 70 sonnent l'âge d'or du clan, qui investit dans les établissements de nuit sur la côte, rackette à tour de bras les tenanciers de bars et de boîtes, monte des casses fructueux à travers toute la France, reprend en main nombre d'hôtels de passe de Marseille et de la région, magouille dans le monde des courses et des paris clandestins, et investit des millions dans l'héroïne en association avec les ténors de la French Connection. L'équipe devient petit à petit la plus en vue de Marseille et grossit à vue d'œil, s'adjoignant les services de voyous pas toujours triés sur le volet.
C'est à cette époque que Mathieu Zampa, le père de Tany, rentre à Marseille après 24 années passées hors de France, d'abord au bagne de Cayenne puis dans les affaires en Afrique. A son départ en 1948 il a laissé une tête brûlée de 15 ans pleine de défi et de baston, à son retour il retrouve un voyou chevronné de 40 ans qui a fait sa place tout seul. Terriblement malade, le vieux baroudeur de 70 ans s'éteint le 22 avril 1973 aux Tourelles, une clinique privée de Septèmes-les-Vallons. Tous les anciens du Milieu se massent à son enterrement. Comme l'approbation d'une passation de pouvoir entre deux générations.
A cette époque Tany est en pleine guerre des gangs, et il ne connaîtra la paix qu'à sa propre mort en 1984. Le premier conflit sérieux éclate en 1972 lorsque Francis le Belge et Zampa s'affrontent pour une histoire de came. Le deuxième, plus violent encore, prend naissance en 1977 avec la tentative d'assassinat sur Jacky le Mat et s'étalera jusqu'aux années 90, laissant de nombreux hommes sur le trottoir. Nous verrons cela dans les prochains articles, en repassant préalablement en revue les carrières de Jacky le Mat et de Francis le Belge. A bientôt.