Trois Marseillais Plein d'Avenir. Partie 2/10 : Jacky Le Mat
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Des trois figures marseillaises dont nous retraçons le parcours dans la série d'articles en cours, Jacky le Mat est sans doute celui sur qui on sait le moins de chose. Le seul qui soit encore en vie aussi, et qui a passé le moins de temps en prison. Un personnage atypique à la longévité rare pour cette génération de voyous. Voyons donc cela de plus près.
Trois Marseillais plein d'avenir
Chapitre 2 : Jacky le Mat, l'inarrêtable
Jacques Imbert est né le 30 décembre 1929 à Toulouse d'un père ouvrier dans l'aéronautique et passionné d'opéra, chanteur à ses heures perdues. En 1946, âgé de 16 ans, le jeune Jacky connaît sa première condamnation sérieuse suite à une agression dans un bar de Montpellier : il a ce soir-là violemment passé à tabac l'amant de sa belle-mère qu'il laisse inanimé sur le trottoir. Déjà connu de la justice pour du menu fretin, il part cette fois pour deux ans au trou. Dans une interview donnée au Nouvel Observateur en 1993, il raconte que c'est à ce moment-là qu'il a véritablement décidé de se faire voyou : « la prison c'est l'endroit où j'ai rencontré le plus grand nombre d'enfoirés de ma vie. Un ramassis de minables, de ratés. Je me suis trouvé en cellule avec un vrai dur. Il s'appelait Gu Méla. Les autres le craignaient, avaient du respect pour lui. J'étais jeune, j'avais envie de briller. Je me suis dit : "c'est ça ma voie" ».
Le dénommé Gu Méla, de son vrai nom Auguste Méla, est en effet une légende du Milieu marseillais de l'entre-deux-guerres : né en 1897 dans le quartier de la Belle-de-Mai il commence sa carrière dans le casse et les cambriolages pendant la Première Guerre Mondiale avant de se lancer à corps perdu dans les braquages à travers toute la France avec ses équipiers du quartier, redouté pour sa violence, n'hésitant pas à abattre policiers et convoyeurs de fonds qui lui barrent la route. En septembre 1938 il signe, avec une douzaine de "beaux mecs" marseillais, un braquage retentissant qui a défrayé la chronique : l'attaque "genre Far West" d'un train de marchandise transportant 180 kilos d'or arrivant de la gare Saint-Charles. Arrêté en mai 1939, il part à la centrale de Castres d'où il s'évade en 1944 avec Bernard Madeleine, futur grand braqueur des années 50-60. Rattrapé en octobre 1946 il est envoyé à la centrale de Nîmes où il rencontre Jacky le Mat, et y meurt en juillet 1960.
De biens belles histoires qui ont sans doute fait rêver le jeune toulousain. Bouillant, Jacques Imbert est alors une tête brûlée qui ne tient pas en place. A peine sortie de prison en 1948 il file à Oran faire son service au 15e régiment de tirailleurs sénégalais, mais est réformé au bout d'un an pour "caractère incompatible avec les règlements militaires". Bouillant on vous disait. Ayant gardé de précieux contacts en Algérie Jacky, que l'on commence à appeler "le Mat" (le fou en argot), se lance alors de plein pied dans la criminalité, naviguant entre Paris et Oran où il maque quelques "gagneuses" et commet des casses, ce qui lui vaut de faire à nouveau un passage en prison en 1949 pour le vol d'une bijouterie.
A Paris le casse-cou se fait cascadeur professionnel à l'occasion, participe à des rallyes et à des courses automobiles, organise des "rodéos" et des concours de dérapages place de la Concorde, et se met surtout à fréquenter le célèbre bar des Trois Canards de Marius Bertella, une grande adresse du Pigalle malfrat (voir le chapitre Les provinces de Paris de mon article Paris 60's) dont il devient l'un des piliers, et même le membre "le plus actif et le plus dangereux" selon une note de police, se lançant à fond dans les braquages et le racket avec ses nouveaux amis. Il commence également à fréquenter Marseille et sa faune où les affaires l'amènent à se rendre de plus en plus souvent. Il y rencontre Tany Zampa en 1958 à l'Ascenseur, une boîte de la place Thiars, via des connaissances communes et se lie d'une amitié très forte avec le Napolitain, devenant petit à petit une figure incontournable de son équipe.
« A 35 ans j'étais un démon.
Et aujourd'hui, je crois que j'ai gâché ma vie.
Il y avait tellement de choses à faire... »
Jacky le Mat est alors une personnalité à part dans le Milieu : charismatique, séducteur, grand passionné, cultivé et très intelligent, grand amateur d'opéra comme son père, il n'en reste pas moins un voyou pure et dur extrêmement dangereux et très craint, une tête brûlée que rien ne semble effrayer.
Pour preuve de son jusqu'au-boutisme cet épisode resté célèbre : l'enlèvement de Raymond Infantes. En 1961 Jacky le Mat a en effet été incarcéré pendant quelques mois pour proxénétisme à Oran et son associé d'alors, Raymond Infantes, un gros tenancier d'hôtels de passe de la ville, ne l'aurait pas assisté correctement pendant son séjour à l'ombre. A peine libéré Jacky monte à bord d'un petit avion Cessna et traverse la Méditerranée de nuit pour ramener Infantes manu militari à Marseille où il le séquestre dans la cave d'un hôtel borgne pendant plusieurs jours, lui soutirant la rondelette somme de 500 000 francs en guise de dédommagement.
Dans le courant des années 60 Jacky le Mat et ses amis marseillais se lient à Robert Blémant, ex-commissaire de police devenu un ponte du Milieu français, qu'ils ont rencontré au bar des Trois Canards. Il est alors en conflit larvé avec Jean-Baptiste Andréani, baron des cercles de jeux parisiens allié notamment au clan marseillais des frères Guérini, à propos d'un établissement très lucratif du quartier de l'Etoile, le Grand Cercle. C'est à la sortie de ce cercle de jeux qu'Andréani est blessé de trois décharges de chevrotine en 1963, les physionomistes de l'établissement pensant bien avoir reconnu Jacques Imbert dans la camionnette des assassins. C'est le début de la "guerre des jeux", qui va durement toucher le Milieu hexagonal. Robert Blémant lui-même y perd la vie, assassiné le 15 mai 1965 au nord de Marseille, vraisemblablement sur ordre d'Antoine Guérini. Tous les participants au meurtre sont exécutés les uns après les autres dans les années qui suivent, y compris Antoine Guérini le 23 juin 1967 par deux hommes à moto derrière lesquels certains ont vu la main de Jacky le Mat et de Gaby Regazzi, l'inséparable ami de Tany Zampa.
C'est vers cette époque, alors que l'équipe des "Nabos" de Zampa et Regazzi est en pleine ascension, que Jacky part s'installer à Marseille tout en gardant un oeil sur Paris où il a toujours des intérêts, tenant notamment en sous-main le Bus Palladium, célèbre club branché de la rue Fontaine à Pigalle. Inévitablement, en 1968 - mieux vaut tard que jamais, il a alors presque 40 ans - il est inscrit au Fichier Central du Grand Banditisme.
La Mafia des Courses
La même année Jacques Imbert devient jockey professionnel, lui qui monte à cheval depuis longtemps et fréquente avec assiduité les hippodromes du sud-est et de Paris, entraînant notamment les chevaux d'un haras de Nans-les-Pins dans le Var. En 1971 celui que l'on appelle désormais "le Jockey" ou "Ben Hur" finit troisième du championnat de France de trot attelé, en 1972 il est sacré champion régional des gentlemen du Sud-Est et remporte en 1973 le titre national avec 29 victoires malgré ses 42 ans. Il crée alors le haras du Bas Rousset au Puy-Sainte-Réparade près d'Aix-en-Provence avec l'acteur Alain Delon - qui a toujours aimé fréquenter les figures du Milieu - et le champion hippique Pierre-Désiré Allaire.
Mais Jacky le Mat a beau être passionné de chevaux, il est aussi passionné d'oseille et le monde des courses en est justement bourré, attirant les gros voyous de Marseille comme de Paris dans ce que la presse a baptisé "la mafia des courses". On soupçonne d'ailleurs Jacky le Mat et ses amis des Trois Canards (reconvertis pour bonne part dans le monde des paris hippiques) d'avoir "retourné" dans les années 60 Patrice des Moutis alias Monsieur X, un ingénieur qui avait mis au point une formule mathématique infaillible pour gagner énormément d'argent au tiercé, afin de le mouiller dans leurs combines hippiques. Mais tant d'argent brassé et d'anomalies sur les champs de course devait inévitablement attiré l'œil de la brigade des jeux.
Ainsi le 23 décembre 1973 éclate le scandale du prix Bride-Abattue, qui met à jour les magouilles mirobolantes qui ont alors lieu dans les hippodromes. Deux semaines plus tôt une course avait en effet vu sortir à Auteuil un tiercé gagnant plus qu'improbable et permit à vingt parieurs de se partager la somme de 5,5 millions de francs. Parmi eux quelques personnages bien connus des services de police tels que Jacques Imbert et son fils Jean-Louis, la figure toulonnaise Jean-Louis Fargette dit Savonnette, l'ex-patron du bar des Trois Canards Marius Bertella ou encore ses amis et associés Henri Codde dit Riquet et Eugène Matrone dit Gégène le Manchot qui tiennent le Skating Park, en face de l'hippodrome Marseille-Borély, une brasserie à la mode devenue le haut-lieu des paris clandestins où les joueurs spéculent même sur les parties de pétanque !
C'est à la sortie de cette même brasserie qu'est abattu Vincent Ascione le 14 mars 1973, un sexagénaire chez qui on avait retrouvé 160 000 francs de tickets perdants du prix Bride Abattue lors d'une perquisition et dont on craignait les bavardages avec la police. Ferdinand Perrier dit Ninan, ancien allié des frères Perret à Paris lors de leur guerre contre les frères Zemour et proche de Ascione chez qui il se trouvait lors de la perquisition, disparaît mystérieusement lui aussi quelques jours plus tard. Jacky le Mat a fortement été soupçonné par la police dans ces deux assassinats mais jamais inculpé, et se verra au terme de l'affaire Bride Abattue radié à vie des champs de course et interdit de séjour dans les hippodromes de France en 1977.
Viré des hippodromes, ce grand passionné qu'est Jacques Imbert va pouvoir se consacrer d'autant plus à son autre hobby : la voile. Il achète pour se faire le Iéna, un yacht à deux millions de francs, puis un voilier de onze mètres baptisé le Kallisté avec lequel il participera à de nombreuses régates internationales au début des années 80 et deviendra dans la foulée membre du Yatch Club de France. Au début des années 90 il prend même la direction d'un petit chantier naval sur l'île du Frioul au large de Marseille où il n'hésite pas à mettre lui-même la main à la patte. Mais ne nous y trompons pas : au-delà de ses diverses passions Jacky le Mat reste avant tout un voyou endurcit.
C'est au début des années 70 qu'il commence notamment à prendre ses distances avec l'équipe de Tany Zampa, surtout après son entrée en guerre contre le jeune Francis le Belge en 1972. Le Mat s'est en effet pris d'affection pour ce mino de la Belle-de-Mai de 16 ans plus jeune que lui, presque un deuxième fils, et ne veut pas prendre partie dans un conflit où il aurait tout à perdre. Il emmène avec lui quelques fidèles, notamment Georges Masia, Henri Bernasconi, Etienne Armao, Théophile Skillaz et surtout les oncles de ce dernier, les frères Cassone dont l'un, Roland, sera promis à une longue et très belle carrière dans le Milieu. Ensemble ils vont continuer leurs affaires toujours florissantes entre Paris et Marseille, notamment dans le racket et le monde de la nuit, et continuer à prendre du poids et manger beaucoup d'oseille. Pour preuve les nombreuses "résidences secondaires" que l'on prête au Mat, aux Caraïbes, en Floride, en Italie... lui qui officiellement vit toute l'année sur ses bateaux.
Tout semble donc aller pour le mieux pour Monsieur Imbert à cette époque jusqu'à cette tragique soirée du 1e février 1977. Ce soir-là, rentrant tranquillement chez lui à Cassis, Jacky le Mat est criblé de balles sur le parking de sa résidence Les Trois Caravelles par trois hommes masqués et lourdement armés. Touché de sept projectiles de 11,43 et quinze plombs de chevrotine, il survit miraculeusement, pour le plus grand malheur de ses agresseurs. Et la rumeur, insistante, désigne son ami Tany Zampa comme l'organisateur en chef du get-apens. « J'aurai donné ma vie pour lui. On a dormi dans le même lit, j'ai porté ses enfants sur mes genoux... » se rappelle, amer, Jacques Imbert. Le début d'une guerre fraternelle impitoyable qui durera près de quinze ans.
Dans le prochain article nous retracerons cette fois-ci le parcours de Francis Vanverberghe alias le Belge, puis on se penchera dans les articles suivants plus en détail sur les guerres des gangs qui ont ensanglanté Marseille dans les années 70. A bientôt.