Trois Marseillais Plein d'Avenir. Patrie 4/10 : Zampa/Vanverberghe, le Grand contre le Belge
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Les années 70 vont sonner pour nos trois compères marseillais l'heure des combats. A cette époque chacun savoure avec voracité son heure de gloire, et les coups de calibre à répétition ne vont pas tarder à résonner dans la cité phocéenne. Le premier conflit oppose l'ombrageux Tany Zampa au jeune surdoué Francis Vanverberghe alias le Belge.
Nous sommes en 1972. Tany Zampa, 39 ans, que l'on surnomme désormais "le Grand", est sortie de prison deux ans plus tôt, affamé d'oseille et dévoré d'ambition, emmenant avec lui une grosse équipe dont font partie de très belles têtes comme son demi-frère Jeannot Toci, son meilleur ami et bras droit Gaby Regazzi, Gérard Vigier, Jean-Pierre "Bimbo" Roche, Jean-Pierre Der Ohanessian, Robert "l'Arménien" Seferian, Jean-Marie "Nono" Lucchesi ou encore Jacky le Mat - qui a commencé à prendre ses distances. Une équipe qui prend beaucoup, beaucoup de poids à Marseille. Francis le Belge pour sa part, âgé de 26 ans, se rend désormais de plus en plus souvent à Paris d'où il gère un important trafic d'héroïne basé dans le sud et hérité du duo de trafiquants Kella-Fiocconi. Par le passé les deux équipes avaient déjà eu quelques mots à propos de came de mauvaise qualité, mais les choses en étaient restées là. En ce début des années 70 par contre, les calibres ne vont pas tarder à sortir de leurs étuis...
Trois Marseillais Plein d'Avenir
Chapitre 4 : Zampa/Vanverberghe, le Grand contre le Belge
En 1972 l'instigateur du conflit est un certain Joseph Lomini dit Jo le Toréador, un braqueur de 33 ans devenu un lieutenant de l'équipe Zampa, qui à l'époque recrutait à tour de bras des seconds couteaux pas toujours triés sur le volet. Ce Jo Lomini, à la réputation d'homme vicieux et dangereux, aurait en effet "fait marron" trois amis du Belge - Robert Di Russo, Jean-Claude Bonello dit Jeannot Cigare et Daniel Lamberti - dans une transaction portant sur 50 kilos d'héroïne dont ils ne verront jamais la couleur. Pour le moins remontés ils pressent alors Lomini de leur fournir la marchandise dans les plus brefs délais. Ni une ni deux le Toréador leur donne dès lors rendez-vous dans le quartier du Canet, au nord de la ville. Nous sommes le 5 septembre 1972 et les trois hommes ne verront jamais la couleur de la came, ni plus celle du jour : amener boulevard Finat-Duclos par un mystérieux traître, ils sont littéralement criblés de balles dans leur voiture par plusieurs hommes embusqués.
A Paris le Belge explose de colère. Il a non seulement perdu trois associés mais surtout trois amis chers qu'il connaît depuis le temps de sa jeunesses à la Belle-de-Mai. Rapidement tous les regards se portent alors sur Tany Zampa, connu pour sa fâcheuse tendance à vouloir escroquer tout le monde et jugé responsable des agissements du Toréador, bien qu'il s'en défende becs et ongles. Il réplique à sa manière en faisant courir le bruit que Francis serait lui un indicateur de police, chose insupportable à ce voyou pur jus. Bref, la guerre est définitivement déclarée entre les deux hommes et dans les rues de Marseille chacun doit désormais choisir son camp.
Pendant un temps Vanververghe et les siens pensent avoir trouvé l'un des responsables du massacre du boulevard Finat-Duclos en la personne de Francis Tourdre dit Francis le Rouge, un voyou pagnolesque à l'humour ravageur qui a travaillé à plusieurs reprises avec l'équipe du Belge. L'intéressé paye cette désinformation par une volée de plomb qui le blesse grièvement le 28 octobre 1972 devant son cabaret Le Passe-Temps, à deux pas du Vieux Port. Le 26 décembre c'est un autre voyou de la Belle-de-Mai, Gualbert Rouvier, 29 ans, connu pour vol et proxénétisme, qui est abattu rue du Jet d'Eau dans le quartier Saint-Mauront. Le 17 février 1973 Emile Chessa, 50 ans, qui avait juré de venger son neveux Daniel Lamberti, et son ami André Katchadourian, 41 ans, sont abattus en plein cœur de la Belle-de-Mai par l'équipe Zampa pour mettre un terme à leurs velléités de vendetta. Francis le Belge enrage de plus belle et se décide à riposter durement une bonne fois pour toutes.
Le Tanagra
Ce sera chose faite le 31 mars 1973 avec la célèbre - et terrible - tuerie du Tanagra qui laissera quatre cadavres sur le carreau. Ce jour-là un commando de quatre hommes lourdement armés (sans doute Francis Vanververghe lui-même, son ami Albert Franconi, Noël Filippi et Vincenzo Parizi, un napolitain condamné à perpétuité dans son pays) déboule au bar du Tanagra sur le Quai des Belges au Vieux Port et crache un déluge de feu à l'intérieur de l'établissement à coups de pistolet-mitrailleur Thomson et de Colts 45. Jo Lomini, la cible des assassins, s'écroule morte sur le coup. A ses côtés gisent les corps de la patronne de l'établissement Carmen Ambrosino, de Jean-Claude Napoletano, de deux blessés graves et d'Albert Bistoni dit l'Aga Khan, 62 ans, un pionnier de la French Connection tué sur le coup. Celui-là est né en 1911 à Marseille d'une famille corse et a commencé sa carrière de trafiquant en transportant ses premiers ballots d'opium dès les années 30 avant de s'activer à fond dans le trafic d'héroïne après-guerre avec ses amis Jean-Baptiste Croce dit Bati et Joseph Mari dit Zé le Frisé, deux géants de la French, à cheval sur la France, le pourtour méditerranéen, les Etats-Unis, le Canada, Cuba et le Mexique. Une légende du Milieu donc, victime collatérale d'une opération punitive qui a mal tournée, peut-être à cause de mauvaises informations qui ont laissé croire aux assassins que Jo Lomini se trouvait là avec toute son équipe. Lieu maudit s'il en est, le bar du Tanagra, alors appelé le Rustique, avait déjà connu quelques années auparavant une autre fusillade sanglante qui avait fait trois morts et deux blessés le 1e octobre 1967, parmi lesquels le patron de l'établissement Joseph Ambrosino dont la femme Carmen perd la vie six ans plus tard au même endroit.
Après cet assaut sanglant Tany Zampa n'a de cesse de traquer le Belge pour laver l'affront, insupportable à cet homme ambitieux et colérique alors en pleine ascension. Mais d'autres personnes traquent inlassablement le même homme : les inspecteurs de police. La tuerie du Tanagra a en effet fait grand bruit et il est temps de mettre hors circuit son instigateur, tenter d'enrayer la logique vengeresse de cette guerre qui a déjà laissé dix hommes sur le carreau. Le 10 avril 1973, soit moins de deux semaines après la fusillade, la police interpelle Francis Vanverberghe dans une planque du 11e arrondissement de Paris en compagnie de sa maîtresse l'actrice Maria Vincent et de deux amis. Le 7 novembre 1973 la 14e chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris le condamne à trois ans de prison ferme pour port d'armes et falsification de documents administratifs, lui faisant payer indirectement par cette lourde peine son implication supposée dans la tuerie du Tanagra.
Le Belge à l'ombre...
Impatient de retrouver le pavé marseillais pour en découdre avec son ennemie, Le Belge ne peut pour l'instant que compter les points. Le 12 août 1973 le frère d'André Katchadourian, abattu six mois plus tôt, est descendu à Marseille. Le 24 avril 1975 Vincenzo Parizi, qui aurait participé au carnage du Tanagra, est blessé dans une fusillade aux Saintes-Maries-de-la-Mer en Camargue devant le restaurant La Brouzetière. L'année suivante Bébert Franconi, un grand ami de Francis qui était allé se réfugier en Italie où il a intégré un gang de braqueurs français que la presse italienne avait baptisé le "clan des Marseillais", est assassiné à Milan. Autant dire que la balance penche clairement pour le camp de Zampa... Il cohabitera d'ailleurs quelques mois en prison avec le Belge aux Baumettes en 1975, dans des bâtiments séparés bien évidemment, à l'occasion d'une peine de dix mois de prison pour port d'armes prohibées.
Malheureusement pour Francis, lui qui pensait être bloqué trois ans à l'ombre va y rester onze années : quelques mois avant sa sortie de prison l'affaire du Caprice des Temps, ce thonier à bord duquel les douanes de Villefranche avaient découvert 426 kilos d'héroïne en février 1972, lui tombe dessus. Le repenti Richard Berdin, un passeur de l'organisation mouillé dans plusieurs parcours de schnouff, l'a en effet désigné comme un des organisateurs en chef du réseau en tant que successeur du trafiquant Charlot Fiocconi. Le 16 mars 1978 la cinquième chambre de la cour d'appel d'Aix-en-Provence le condamne à 14 ans de réclusion criminelle. Le Belge hors-jeu pour un long moment, sa guerre contre Zampa prend logiquement fin, malgré quelques soubresauts sporadiques qui émailleront les années suivantes.
Francis profite de ces années de prison pour lire, beaucoup, apprenant le droit et découvrant les grands auteurs, lui qui avait arrêté l'école à 14 ans. Il se forge dès lors une personnalité plus étoffée, plus originale aussi par rapport à la moyenne du Milieu. Et lorsqu'il sort de prison le 28 juillet 1984, c'est pour ainsi dire un homme nouveau qui recouvre la liberté. Nouveau mais toujours voyou : Le 26 juillet 1985 Roger Sabaty dit le Lucre, en qui le Belge s'était persuadé d'avoir trouvé le traître qui avait conduit ses trois amis à l'abattoir le 5 septembre 72 boulevard Finat-Duclos, est abattu à Marseille. Sans doute la dernière victime du conflit Zampa/Vanverberghe.
En attendant, pendant la longue incarcération du Belge ses deux compères Jacky le Mat et Tany Zampa vont continuer à faire parler d'eux et finiront, bien entendu, par en venir aux mains. Dans le prochain article, nous verrons ainsi plus en détails l'ascension fulgurante de Zampa au cours des années 70, avant de revenir dans le suivant sur le terrible affrontement qui le verra s'opposer à Jacques Imbert alias Le Mat, pourtant grand ami d'hier. A bientôt.