Trois Marseillais Plein d'Avenir. Partie 7/10 : la Chute de Gaétan Zampa
⚠ Mon livre
Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
est enfin disponible ! ⚠
400 pages, 80 photos, 3 ans de travail, 25 euros
Disponible ici
(ou dans toutes les bonnes librairies)
-------------------------------------------------------------------------------
Au début des années 80 l'équipe Zampa est au sommet de sa réussite, mais se voit également fortement affaiblie par la pression policière croissante qu'elle subit après l'assassinat du juge Michel en octobre 81 et la guerre impitoyable que lui mènent Jacky le Mat et ses amis depuis 1977, les rangs du clan en ayant été lourdement affaiblies. En 1983 le meurtre de Gilbert Hoareau est celui de trop, emportant le "parrain" âgé de 50 ans dans les méandres de la justice et plus encore dans ceux de ses démons intérieurs. C'est à une fulgurante descente aux enfers qu'on assiste alors.
Trois Marseillais plein d'avenir
Chapitre 7 : La Chute de Gaétan Zampa
Le 6 octobre 1983 aux alentours de 18h Gilbert Hoareau dit Le Libanais, 39 ans, sort de la brasserie Les Danaïdes, propriété de Paul Mondoloni, l'un des juges de paix les plus respectés du Milieu marseillais, et s'engage sur le cours Joseph Thierry en haut de la Canebière lorsque trois hommes armés se précipitent vers lui en ouvrant le feu. Tentant de prendre la fuite, le Libanais est atteint de neuf balles dans le dos et s'effondre sur le trottoir, les assassins venant achever leur victime de trois projectiles en pleine tête tandis qu'un jeune adolescent gît non loin de là, blessé par une balle perdue.
La mort de Gilbert Hoareau, l'un des rois des nuits marseillaises aux méthodes pour le moins musclées, patron officieux de nombreux établissements de nuit et ce parfois en association avec Tany Zampa, vient semer le trouble dans le Milieu phocéen. Venue perquisitionner le domicile du Libanais après son assassinat, la police y découvre la comptabilité occulte de plusieurs enseignes tenues en sous-main par Tany Zampa et son équipe, y décelant de très nombreuses anomalies. La chasse à l'homme est alors lancée, et ce sont plus d'une vingtaine de personnes qui sont arrêtées dans tout le sud, dont la propre femme de Tany, Christiane Convers. Son époux, lui, se met en cavale en même temps que quelques fidèles dont son demi-frère Jeannot Toci, son meilleur ami Gérard Vigier et son vieil allié Jean-Marie Lucchesi dit Nono.
La mort de Gilbert Hoareau, doublée de la mise sur la touche de Zampa, semble également être le point de départ de ce qu'on a appelé la "guerre des boîtes", terme générique désignant une série de conflits violents qui vont ensanglanter le sud-est pendant dix années autour du contrôle de plusieurs discothèques de la région marseillaise, d'Aix-en-Provence et au-delà, et dont on reparlera plus largement dans les prochains chapitres.
En attendant les premiers à faire les frais de cette "guerre des boîtes" ce sont les membres du clan Hoareau eux-mêmes, subissant une véritable vendetta de la part de leurs ennemies. L'origine du conflit est à trouver au mois de mai 1983, lorsque Le Libanais descend à Cassis avec plusieurs complices pour passer violemment à tabac Paul Karakoglou, l'exploitant de la boîte de nuit la Locomotive, lui défigurant le visage de larges cicatrices sur les joues avant de l'abandonner inanimé sur un terrain vague.
Problème : Karakoglou, que l'on surnomme désormais "le Balafré", est associé dans la Locomotive à deux autres figures de la nuit marseillaise, Edgar Korchia et Alfred Roux, et travaillerait en réalité sous le joug de Tany Zampa, le véritable propriétaire des lieux. Une offense que ni Karakoglou et ses amis ni Zampa ne pouvaient laisser passer, bien que ce dernier et Gilbert Hoareau soient en affaires étroites depuis plusieurs années - Hoareau avait d'ailleurs projeté peu avant d'investir plus d'un million de francs dans le bar-restaurant La Rotonde à Aix-en-Provence, l'un des quartiers généraux de Tany Zampa.
Résultat : le "Beau Gilbert" perd la vie le 6 octobre 83, victime de son orgueil, lui qui s'était persuadé d'être devenu le nouveau monarque absolu des nuits marseillaises. Cinq jours plus tard l'un des agresseurs supposés de Karakoglou, Antoine Franceschini, était tué à Marseille tandis que l'autre, Joël Sergio, se faisait attaquer à la chevrotine la même nuit place du Général-de-Gaulle et sauvait sa peau in extremis en se réfugiant dans un bar voisin. D'autres associés d'Hoareau perdent la vie dans les mois qui suivent, jusqu'à son frère Joseph tué à Allauch le 8 février 1985 et son fils Alain, 19 ans à peine, abattu à Calvi le 22 août suivant. Paul Karakoglou échappe lui de justesse à une tentative d'assassinat le 18 septembre 1985 lorsque son ennemie juré, Joël Sergio, est arrêté avec trois complices alors qu'ils s'apprêtaient à le liquider. Sa femme, elle, aura moins de chance quelques années plus tard : Aline Karakoglou est en effet tuée le 4 novembre 1989 à Cassis devant son domicile, preuve que la haine entre les deux camps semblait ne plus connaître de limite.
Une terrible vendetta donc, imbriquée dans le cadre plus général de la "guerre de cent ans" que se mènent alors Imbert et Zampa. Et pourtant, même si les corps continuent de tomber, Zampa lui n'est plus, victime de sa propre folie à l'été 84.
"À la Capone"
La cavale du caïd marseillais n'aura pas durée bien longtemps, 33 jours à peine, preuve que l'attention accrue dont il faisait l'objet de la part des instances policières depuis l'assassinat du juge Michel en octobre 81 avait largement affaiblie sa logistique. Fou de rage après l'arrestation de sa femme Christiane, Tany a même ouvertement menacé le juge Yves Grangier et sa famille, à l'origine de l'opération, ainsi que le procureur Pierre Truche. Des menaces prises très au sérieux quand on sait ce qui était arrivé à Pierre Michel deux ans plus tôt.
Gaétan Zampa est finalement arrêté le 27 novembre 1983 dans un bungalow du camping de Saint-Mitre-les-Remparts, sur le pourtour de l'étang de Berre, où il planque en compagnie du fidèle Nono Lucchesi et de deux jeunes femmes, un important dispositif policier ayant été déployé pour coincer le Marseillais.
Placé à la prison des Baumettes le caïd vit très mal son incarcération, et plus encore celle de sa femme. C'est que petit à petit Zampa perd de sa superbe, et ne tarde pas à se faire surnommer "la balance" puis "la marraine" par certains de ses codétenus qui profitent de son état de faiblesse pour défier l'ancien roi de Marseille, lui qui faisait trembler tant de monde à l'extérieur au temps de sa splendeur. Les personnes qui ont pu le rencontrer à cette époque ont tous eu la même impression : Tany était en train de perdre la boule. « Au fil des jours j'ai vu Gaétan Zampa craquer physiquement et mentalement, perdre peu à peu sa superbe » raconte l'ex-commissaire Georges N'Guyen Van Loc dit Le Chinois, qui a grandit avec lui dans le quartier du Panier. « Il pouvait à tout moment entrer dans des crises démentielles, sa voix, en montant vers l'aigu, devenait inaudible. Il était ailleurs, comme en proie à des visions » renchérit Me Patrice Vaillant, l'un de ses défenseurs. Certains ont raconté que Zampa jouait la comédie, qu'il voulait se faire passer pour fou et suicidaire afin d'être placé en institut spécialisé. Où se trouve la vérité ? peut-être entre les deux.
Le procès démarre en juin 1984, principalement autour des anomalies flagrantes relevées dans la comptabilité de la discothèque géante le Krypton, portant sur plusieurs millions de francs. Comme pour Al Capone cinquante ans plus tôt, le seul moyen de faire tomber Zampa aura été de l'attaquer au porte-monnaie. Et comme pour Al Capone, la "star" une fois en prison perdra tout son prestige et supportera très mal les brimades de ses camarades. Mais si Capone perd la vie à l'air libre, Zampa mourra lui derrière les barreaux.
Au premier jour du procès, le 20 juin, Tany se jette au tribunal la tête la première contre un pilier pour se fracasser le crâne, blessant au passage le policier menotté avec lui. Deux jours plus tard il se taillade les veines du poignet, sans plus de succès. Le procès est repoussé au mois de septembre, et le Napolitain obtient dès lors de l'administration pénitentiaire d'être placé en cellule avec Robert Schandeler dit Bob, braqueur et ancien videur du Mistral à Aix, l'une des boîtes de Tany, afin de veiller sur lui.
Ce qui n'empêche pas le caïd marseillais d'en finir une bonne fois pour toutes avec ses vieux démons quelques jours plus tard. Le 23 juillet 1984, alors que son codétenu fait la sieste, Tany se pend aux barreaux de sa cellule avec une corde à sauter. Bob Schandeler aura beau tenter une trachéotomie de fortune, Zampa est plongé dans un profond comas dont il ne se réveillera pas : trois semaines plus tard, le 16 août 1984, il décède à l'hôpital Salvator où il avait été placé. Son ennemie intime Francis le Belge pourra d'ailleurs fêter ce décès à l'air libre : il est sortie de prison deux semaines plus tôt, après onze longues années passées derrière les hauts murs. Christiane Convers, elle, du fond de sa cellule, ne peut que pleurer son mari décédé. Leur vie matrimoniale avait commencé là 18 ans plus tôt, lorsqu’ils se marièrent à l'ombre des Baumettes le 18 juin 1966, le beau Tany étant alors incarcéré pour port d'arme.
Son enterrement, le 21 août, est des plus sobres pour un homme de cet acabit. Il faut dire que la plupart de ses amis sont tous morts ou en cavale. Bob Schandeler, lui, accusé d'avoir causé la mort de son boss de par sa trachéotomie de fortune, sera abattu le 12 décembre 1989 à Montpellier, bien que les deux affaires n'aient jamais été officiellement reliées.
Entretemps tombe finalement le verdict du procès le 16 octobre 1984 : Christiane Convers en prend pour quatre ans de prison dont 30 mois avec sursis et 200 000 francs d'amende. Vingt-huit autres inculpés sont condamnés avec elle, dont les deux PDG officiels du Krypton, Raphaël Di Nonno et Patrick Royère, l'avocat marron Me Philippe Duteil qui s'est occupé du montage financier, le voyou Sauveur Caronia, ou encore le "beau mec" Gérard Vigier, tous condamnés à des peines allant de six mois ferme à deux ans de prison, excepté les deux bandits en fuite Jean Toci et Nono Lucchesi. Une tempête dans un verre d'eau en somme, mais le Krypton, lui, subit une fermeture administrative définitive et ne rouvrira plus jamais ses portes. L'emblème ultime de l'empire Zampa tombe en même temps que son empereur.
Pourtant si la tête pensante du clan n'est plus, plusieurs de ses membres sont eux encore bien en vie et vont en perpétuer le souvenir pendant plusieurs années, avec toujours en fond la guerre qui les oppose à Jacky le Mat, à Roland Cassone et désormais à Francis le Belge, fraîchement sortie de prison. Des évènements qui vous seront conter dans le prochain article. A bientôt.