Les Caïds de Montreuil, Chapitre 1 : Titi Peltier
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Montreuil, 100 000 habitants. Trente ans durant la ville de l'est parisien va voir émerger de très gros voyous, trois générations qui vont se succéder les unes après les autres, représentées tour à tour par Titi Peltier né en 1943, Claude Genova en 1951, et enfin les trois frères Hornec nés respectivement en 53, 57 et 66. Trois équipes de fer dont nous allons voir le parcours d'un peu plus près à travers trois articles consacrés chacun à l'une d'elle, et suivre ainsi une petite tranche de l'histoire malfrate de Montreuil et d'une manière plus large de la voyoucratie parisienne des années 70, 80 et 90, c'est-à-dire les belles heures du Grand Banditisme et de cette génération de voyous qu'on appelle aujourd'hui les "tradis", issue des grandes villes pauvres de l'agglomération parisienne avec pour capitales Aubervilliers au nord, le triangle Villejuif-Ivry-Vitry au sud, et Montreuil à l'est.
Le quartier qui a la faveur des équipes montreuilloises dont il sera question ici c'est celui de la Boissière, au nord de la ville, en lisière de Rosny, Romainville et Noiy-le-Sec. Dès 1872, à la sortie de la guerre franco-prussienne, des manouches d'Allemagne sont venus s'y installer, suivis un peu plus tard par des roms originaires de Roumanie, de Pologne ou de Russie qui viennent y fixer leurs campements. La zone, semi-rurale, est alors un mélange de baraquements aux allures de bidonville, de pavillons ouvriers et de maisons paysannes, jusqu'à ce qu'à la fin des années 60 la municipalité y autorise les constructions. Des immeubles sortent alors de terre, des pavillons, des rues goudronnées, des parkings. Tout comme à Saint-Ouen et Clignancourt au nord et autour de la Porte d'Italie au sud les Roms et Manouches de l'est parisien investissent ces nouvelles constructions, ainsi que des voyageurs pas forcément issus de la communauté tzigane (forains, gens du cirque, chiffonniers...). Un quartier où l'honnêteté côtoie la débrouille, et où la débrouille vire parfois à la crapulerie pure et dure.
Chapitre I : Titi Peltier, l'enfant terrible
Ni gitan ni même montreuillois, le premier beau mec du coin s'appelle Guy Peltier dit Titi, venu de la banlieue nord. Un original. "Titi Peltier il a été marginal même chez les voyous, raconte Michel Ardouin dit Porte-Avions. Il était marrant, il avait beaucoup d'humour, et un caractère assez spécial. Mais avec un fond de méchanceté qui faisait comprendre qu’il irait jusqu’au bout, peu importe qui il avait en face de lui". Le personnage est planté.
Guy Peltier, dont la famille est originaire de Savoie, né le 29 mai 1943 à Drancy et grandit à la Cité du Nord avec ses sept frères et sœurs. A 14 ans il perd sa mère, atterrit en foyer, entame une formation en mécanique et multiplie les petits larcins avec les copains du quartier, puis passe rapidement aux casses. A 19 ans il se marie, et tombe deux ans plus tard, en 1964, pour le cambriolage d'une bijouterie. En prison il rencontre du beau monde, la nouvelle génération de la banlieue sud, des mecs de Paris, de province... les Nénesse Bennacer, Richard Leroy, Jean-Claude "Petites Pattes" Vella, Jean-Pierre le Kabyle, les frères Leclerc et autres Daniel Abramovitch alias le Russe ou le Polonais, qui feront trembler Paris dans les années 70. Des jeunes voyous en herbe qui se croisent au "J3" de Fresnes (le quartier des mineurs) ou dans les cours de la Santé et de Poissy.
A sa sortie début 70 il s'équipe avec les amis d'enfance et commence à faire sa loi. Avec les frères Paulo et Coco Dieupart il protège certains établissements des "Auvergnats", trois très gros tenanciers de maisons closes de Paris, part quelques mois au trou en 71 pour une affaire de saucissonnage, s'équipe avec le Gang des Siciliens- emmené par ses deux amis de Villejuif Jean-Claude Vella et Marcel Gauthier - dans leur guerre contre les frères Zemour entre 73 et 76, se met très bien avec les gitans de Montreuil, fréquente la faune d'Aubervilliers, les proxos de Paris, repart au trou en 79, ouvre une boîte à Port Leucate dans les Pyrénées Orientales, un restaurant à Levallois... bref Titi Peltier monte en puissance et se fait surtout remarquer pour sa tendance au racket !
"Il a toujours vécu sur le dos des autres" dira Ardouin, qui parle d'une véritable seconde nature chez lui. Dans les années 70 Titi Peltier se met à racketter tout un tas de gens dans le Milieu et chez les forains, sûr de sa force, touchant sur les braquages, sur les machines à sous clandestines, sur les putes, sur la nuit... pour peu que le mec en face se soit manqué à un moment ou à un autre et Titi saisit l'occasion. On dit qu'il aurait enlevé un membre d'une grande famille du cirque contre rançon, qu'il aurait fait plastiquer un bateau-casino au large de Perpignan qui refusait de payer son amende... et "descendu à la cave" les mecs un peu trop coriaces. Mais même si avec ses associés Titi s'est fait une spécialité de la mise à l'amende, il n'oublie pas non plus son premier amour : le vol. Dans la deuxième moitié des années 70 il signe notamment deux très belles affaires qui participent de sa légende.
Le 15 août 1976, après des mois de travail, une équipe s'introduit dans la salle des coffres de la Société Générale de l'île Saint-Louis à Paris en passant par en dessous et vide tranquillement les coffres individuels des clients pendant tout le week-end, pour un montant inconnu mais vraisemblablement mirobolant. La rumeur dit même que les casseurs auraient mis la main sur des dossiers compromettants dans les coffres de madame Pompidou et de la famille De Gaulle, négociés à prix d'or par l'intermédiaire d'un homme politique niçois. Les voleurs sont passés par une porte dérobée sur les quais de Seine, ont suivit le dédale des égouts et patiemment creusé un tunnel sous la banque avant de la dévaliser. Un mois auparavant Albert Spaggiari et ses complices signaient un casse du même genre à Nice, une première très médiatisée en France, volant la vedette à Peltier et ses amis.
L'année suivante le caïd de Montreuil commet un nouveau coup d'éclat. Le 28 juillet 1977 à 5 heures du matin, accompagné de bonhommes solides (Jeannot Dumerain, un ex-membre du SAC impliqué en 1971 dans le réseau d'héroïne d'André Labay, Michel Thierry, un beau poisson de Montreuil proche des frères Hornec, Daniel Maurice dit Momo, qui marche avec le Petit Serge, Gérard Forlini qui finira à moitié fou) et avec la complicité du chauffeur qui leur a apporté l'affaire, il fait disparaître un camion qui sort de la gare de marchandises de Bercy. A son bord pas loin de 17,7 tonnes de pièces de dix francs fraîchement fabriquées en Gironde, et qui devaient être livrées à la Banque de France ! Les deux chauffeurs qui ont aidé à transporter le camion sont discrètement éliminés par l'équipe pour éviter qu'ils ne parlent... Pendant des mois Peltier et ses complices vont arroser la banlieue de ce trésor en petite monnaie, vendant à tour de bras le pactole crapuleusement acquis qui va notamment venir alimenter le réseau des machines à sous clandestines placées dans les bistrots de Paris er de sa banlieue, un nouveau bizness qui explose en 1977 grâce à une "brèche" judiciaire ouverte par la cour de cassation. Définitivement, Titi est passé dans le cour des grands.
A Montreuil où il s'est installé en 1979 avenue Berlioz, il devient le mentor de toute une génération, trônant au milieu de la communauté manouche au bar de la Demi-Lune dans le quartier de la Boissière, son QG tenu par son bras droit Jean-Pierre Jurie dit "le Gros Jean-Pierre" et rendez-vous des jeunes pousses du 93 qui y font leurs classes. Avec le Pixi et le Saint-Ex, tenu par Georges Berens dit Francky, un autre caïd du coin, il s'agit des trois principales adresses des voyous montreuillois. Un autre "gros" sert alors d'homme à tout faire à Titi Peltier : Claude Genova, entré à son service autour de 1980 et future terreur du Milieu. "Peltier ne souffrait pas de la supériorité d'un autre voyou" raconte un ancien de la BRB. "Ce mec était un fer, une véritable épée. Intransigeant. Il faisait trembler tout le monde" renchérit l'inspecteur Fabiani. Dur en affaires, fidèle en amitié, rusé et extrêmement méfiant, très drôle, le caïd de Montreuil n'en reste pas moins "un grand gamin" selon un de ses anciens amis de banlieue. Un original aux tenues extravagantes (un jour en chapeau melon, costume et parapluie, le lendemain avec blouson de baseball sur le dos et casquette sur la tête, le surlendemain en manteau de western-spaghetti...) qui aime à s'afficher avec les stars qu'il rencontre dans ses virées nocturnes. Il sympathise notamment avec Johnny Halliday qui lui a offert l'aigle en or qu'il porte en pendentif, et assure avec ses hommes la sécurité des concerts du chanteur au Zénith début 1985, partageant le contrat avec une bande de bikers devenus entretemps ses amis.
Quelques temps plus tard, recherché dans plusieurs dossiers, Titi Peltier se met en cavale en Espagne. Loin des affaires il est rapidement à sec. Il remonte donc à Paris au printemps 1986 pour voler l'argent d'un autre comme il en a toujours eu l'habitude. Cette fois la cible s'appelle Daniel Bozzi, dont l'un des associés s'est "manqué" avec Titi en Espagne. L'occasion de lui faire payer cet affront rubis sur l'ongle ! C'est que Bozzi, notamment connu pour avoir participé à la "French Sicilian Connection" à la fin des années 70, un trafic d'héroïne entre Palerme et New-York impliquant des voyous marseillais, s'est lancé dans le bizness juteux des machines à sous clandestines. Avec ses deux principaux associés Michel Thierry, qui avait tapé le camion de pièces de 10 francs avec Titi en 77, et Georges Berens dit Francky, un autre mentor de Montreuil qui a pris sous son aile les frères Hornec à leurs débuts, il tiendrai près de 500 bingos entre Paris et Bordeaux. De quoi attiser la convoitise de Peltier, mais le trio a plus d'un tour dans son sac.
Une belle journée du printemps 1986, après avoir passé le temps avec Thierry Mazin dit l’Elegant, braqueur nantais qui roule avec la banlieue sud, Titi se rend à un mystérieux rendez-vous dans un bar de la rue Buzenval, dans le 20e, tenu par un dénommé "J3". Et Titi disparaît. A tout jamais. On racontera par la suite une histoire des plus sordides : au bar de la rue Buzenval, "J3" aurait proposé une partie de flipper à Titi qui à peine installé devant la machine se prend deux coups de batte dans les reins et se fait menotter par Bozzi, Berens et Thierry qui l'emmènent en belle et le découpe en morceau dans une planque en banlieue. Les restes de son corps seraient enterrés dans un coin du 93... Un meurtre que les voyous parisiens ont un temps mis sur le dos de la "guerre d'Aubervilliers" qui secoue alors le Milieu et qui coûtera la vie à Jean-Pierre Jurie, patron du bar de la Demi-Lune et bras droit de Titi Peltier, quelques mois plus tard. On en reparlera dans le prochain article.
Véritable caïd des banlieues parisiennes, Titi Peltier aura en tout cas été le père spirituel de toute une génération. Lorsqu'il meurt, son lieutenant Claude Genova est en prison. "Le Gros" sent alors son heure venir. Pour le meilleur et pour le pire.