Les Caïds de Montreuil, Chapitre 2 : Claude Genova
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Nous avons vu dans l'article précédent le parcours de Titi Peltier, ce gangster aussi original que dangereux qui fit office de véritable mentor pour toute une génération de la banlieue parisienne dans les années 70-80. Penchons-nous désormais sur la carrière de celui qui fut sans doute son plus brillant élève.
Chapitre II : Claude Genova, le Gros
Il voulait devenir "le parrain de la France", et aimait à le répéter. Comme un rêve de gosse. A sa manière Claude Genova était lui aussi un "grand gamin". Et même un beau bébé de 100 kilos tout en muscles, lui qui pourtant était né prématuré. Plus tard on l'appellera "le Gros". Pour ses proches il était tout simplement "Claude", un bon père de famille qui rentrait chaque soir au foyer. Et pour ses géniteurs un enfant pour le moins turbulent...
Claude Genova est né en 1951 en Tunisie d'une mère italo-corse infirmière et d'un père sicilien coiffeur venu rejoindre la grosse communauté présente dans la colonie française. Rapidement le couple et ses quatre enfants partent s'installer à Paris au quartier Montgallet (12e), puis quelques années plus tard à Montreuil dans une résidence en lisière du quartier de la Boissière. Claude Genova a alors douze ans, et partage les bancs de l'école avec un certain Jean-Claude Hornec, aîné d'une fratrie qui deviendra célèbre et lui causera bien des soucis dans les années à venir. En attendant Genova s'accoquine avec la communauté gitane du quartier, s'encanaille et fini par quitter l'école à quatorze ans.
"Le Gros" n'a pas volé son surnom. Adolescent, déjà, c'est une force de la nature. Il protège les plus faibles, commet ses premiers vols qui lui valent quelques passages au commissariat local, et entre dans la bande de la Boissière, genre blousons noirs et chaînes de vélo, avec qui il fait les 400 coups et se bastonne contre les autres groupes de loulous de Montreuil et de Bagnolet. Surtout il est sacré champion de France de lutte gréco-romaine en 1968 alors qu'il a 16 ans, et est sélectionné pour les jeux olympique de Mexico la même année auxquels il ne pourra pas se rendre : il se marie l'année suivante avec Fifine, une gitane du quartier, alors qu'ils sont tous deux mineurs.
Dans les années 70 Claude Genova passe à la vitesse supérieure. En 1975 il est condamné pour faux et usage de faux, en 1979 pour infraction sur les armes et faux-monnayage. Il se mêle aussi un peu de politique : un de ses amis membre d'Ordre Nouveau, un mouvement d'extrême droite, le contacte au début des années 70 pour faire le colleur d'affiches et assurer le service d'ordre. Genova recrute toute une équipe de copains de Montreuil et décroche en 1974 un contrat pour assurer la protection de Valery Giscard d'Estaing pendant les élections présidentielles, par l'intermédiaire d'Hubert Bassot, responsable du service d'ordre du futur président. Le Gros est alors une figure à la Boissière, un balèze connu pour sa jovialité mais qui n'a pas encore connu son embellie.
Il monte d'un cran à la fin des années 70 en faisant la rencontre de Titi Peltier au bar de la Demi-Lune, le QG du caïd tenu par son bras droit Jean-Pierre Jury dit "le Gros Jean-Pierre", et s'associe avec lui. C'est à ce moment-là que Claude Genova commence à prendre réellement du galon. Désormais sous la houlette de Titi Peltier il se lance dans le racket, les escroqueries, le trafic de voitures, le proxénétisme, les braquages, s'acocquine avec les grands noms des banlieues sud et nord, achète la Baie des Anges, une boîte de la rue du Faubourg-du-Temple dans le 10e dont il fait son siège officieux... et entre forcément au Fichier Central du Grand Banditisme en 1985. La même année le Gros tombe pour proxénétisme aggravé. C'est qu'en la matière il n'a pas chômé : il tient trois studios de prostitution autour de la rue Saint-Denis et un autre passage Sainte-Foy qui font travailler une trentaine de filles, ainsi que plusieurs emplacements au bois de Vincennes qui lui rapportent de très belles sommes chaque mois. Genova part pour trois ans à Fleury-Merogis.
C'est derrière les barreaux qu'il apprend la mort de son mentor Titi Peltier, enlevé et assassiné au printemps 1986 par ses ennemies. Claude Genova, "le Gros", sent alors son heure venue et veut devenir très gros, le "parrain de Paris", du jamais vu. Il retourne des jeunes dans Fleury, fait jouer de son charisme et s'entoure d'une petite équipe aux ordres, s'installant dans son nouveau rôle. Pendant ses permission il prépare le terrain. Et à sa sortie en 1988, équipé avec quelques fidèles, il se lance à la conquête du Milieu.
Rackets, enlèvements, trafic de voitures, guerre d'Aubervilliers...
Le Gros sur tous les fronts
Dehors Claude Genova est hyperactif. Il multiplie les bizness, se mêle de tous les conflits de Paris, joue les juges de paix, prend les jeunes sous son aile, monte de gros braquages, met la main sur plusieurs affaires dans le monde de la nuit, investit dans le trafic de shit en pleine explosion (il est notamment accusé d'avoir organisé l'importation de trois tonnes de cannabis par bateau en 1990 en association avec des beaux mecs de Marseille, de Corse, de la Banlieue Sud et de Lyon), touche de l'oseille sur les machines à sous clandestines placées dans les cafés de la banlieue parisienne (et gèrerait le "parc" de quelques gros poissons marseillais), monte un bizness de faux papiers, fraye avec des gros voyous de Nice, de Lyon, de Bastia, fréquente des têtes d'affiche du FLNC, et rackette inévitablement ses confrères tout comme les riches forains de la communauté des Voyageurs, un travers que semble lui avoir légué Titi Peltier. A la manière de ce dernier il n'hésite d'ailleurs pas à "descendre à la cave" les récalcitrants, travaillant selon la rumeur du Milieu ses victimes à la perceuse...
Guy Daguano est le premier à tomber. Patron du bar-restaurant la Madrague sur l'avenue Mac-Mahon, l'un des derniers gros rades de voyous de la capitale et véritable rendez-vous de la pègre parisienne, il a vraisemblablement touché de grosses sommes d'argent pendant que Genova était en prison, en association avec une équipe d'escrocs de grande envergure. Il est enlevé en février 1988 et disparaît à tout jamais... Claude Genova aurait pris le "goût du sang". Quelques autres suivront, mais la majorité prend peur et préfère payer les amendes de la nouvelle terreur du Milieu. Le Gros se mêle aussi des embrouilles des autres. Pendant son incarcération une guerre violente a commencé de secouer le monde des voyous...
Les prémices du conflit sont à trouver quelques années auparavant, à Aubervilliers vers 1976, lorsqu'un faussaire et trafiquant de voitures de La Courneuve, un certain Marco l'Arabe, s'embrouille dans un bar avec une équipe concurrente. Qui ne laisse pas passer et tente par deux fois d'assassiner l'importun, qui en réchappe mais disparaît de Paris, ruminant sa vengeance. C'est qu'Aubervilliers, véritable capitale des voyous de la banlieue nord, n'est pas le fief de n'importe qui : le patron du coin s'appelle Richard Leroy, un ancien blouson noir né en 1948 devenu dans le courant des années 70 l'incontournable boss du trafic de voitures volées en Ile-de-France, la spécialité d'Aubervilliers. Depuis son QG de la "Pizza", un restaurant du centre-ville qui sert de bourse aux voitures aux voleurs et trafiquants, il gère un bizness portant sur près de mille véhicules par mois et fait travailler une centaine de petites mains sous ses ordres - voleurs, garagistes, plaqueurs, faussaires, vendeurs... Il est également connu pour avoir tapé un coup retentissant en novembre 1986 : le braquage d'un fourgon blindé de la Mitsubishi Bank à Tokyo en compagnie de trois complices d'Aubervilliers, Philippe Jamin dit Gros Fifi, Youssef Khimoun et Nordine Tifra. Le quatuor aurait dérobé près de 333 millions de yens pendant le braquage, signant là le plus gros vol de l'histoire du Japon ! La bande s'y était initialement rendue pour négocier des tableaux volés quelques années plus tôt, le trafic d'oeuvres d'art étant devenu une autre branche de Richard Leroy dans les années 80.
Entretemps son ennemie Marco l'Arabe s'est lui fait de nouveaux amis, et pas des plus tendres.
Il s'est en effet associé à Claude Filali dit Le Chinois, un ancien parachutiste fraîchement sortie de prison et réputé très dangereux. Avec Marco l'Arabe et quelques associés ils auraient enlevé 2-3 braqueurs fraîchement enrichis pour leur faire cracher l'oseille avant de les tuer purement et simplement. En 1987 ils abattent Claude Raoul devant chez lui à Saint-Ouen, un ami de Richard Leroy qui faisait le proxo. Trois jours plus tard c'est le Gros Jean-Pierre, l'ancien bras droit de Titi Peltier, qui est tué devant son bar à Montreuil. Il accusait Marco, Filali et leurs amis d'être à l'origine de la disparition de Titi, ce qui n'était vraisemblablement pas la cas (mais on ne sait jamais vraiment avec ce milieu). Il cachait surtout 800 000 francs dans son jardin, que ses assassins s'empressent d'aller récupérer un peu plus tard.
Tout le Milieu parisien se mêle petit à petit du conflit et la paranoïa bat son plein, chacun devant choisir son camp. En juin 1987 une réunion est organisée dans une brasserie de la porte de Champeret entre plusieurs cadors de la pègre : il y a là bien évidemment le boss d'Aubervilliers Richard Leroy mais aussi Jean-Pierre Lepape du 20e, un très beau braqueur proche du Gang des Postiches, Dédé Gau de la banlieue sud, protecteur du "roi de Pigalle" Henry Botey, Daniel "le Polonais" Abramovitch, qui faisait partie du "Clan des Siciliens" dans les années 70, Bernard Dupas dit le Chauve, patron d'un cabaret à Saint-Germain-des-Près et proche du gang bastiais de la Brise de Mer et du caïd marseillais Tany Zampa, et encore une vingtaine d'autres têtes d'affiche. Ensemble ils décident de mettre fin une bonne fois pour toute aux agissements sanglants de Filali le Chinois, qui le prend très mal et réplique immédiatement dès le mois suivant : le 27 juillet 1987 à 1h du matin, son ennemie Richard Leroy est abattu de quatre décharges de chevrotine tout près de chez lui à Aulnay-Sous-Bois.
Lorsque Genova sort de prison en 1988 il entre dans la danse, et rafle au passage une partie du bizness de voitures volées laissé sans véritable chef par Leroy, avec qui il avait déjà mis un pied dans la spécialité quelques temps auparavant. Surtout, il se lance à la poursuite de ceux qu'il pense être les assassins de son ancien boss Titi Peltier, de son confrère Jean-Pierre Jury et de son ex-associé Richard Leroy. Avec une efficacité qui souffle tout le monde : en un temps record son équipe, tapant aux faux policiers, parvient à soulever Marco l'Arabe dont les aveux permettent ensuite de débusquer et d'enlever Claude Filali le Chinois, pourtant réputé impossible à coincer (on raconte qu'il dormait avec un canon scié dans son lit). La terrible agonie des deux hommes durera près de 24h, Genova invitant leurs ennemies intimes à leur administrer une version très personnelle de la justice...
Le Gros s'active donc dans toutes les directions. Et attire inévitablement l'oeil de la police : en novembre 1989 il tombe pour un trafic de voitures portant sur deux cent véhicules. Au Novotel de la porte de Bagnolet, l'un de ses "bureaux", et dans une planque du 15e arrondissement la police découvre un véritable arsenal de faussaire-braqueur : 300 cartes grises, 150 permis de conduire, 100 cartes d'identité, 300 attestations d'assurance, 1000 certificats de non-gage, 10 passeports, 15 cartes de police, des dizaines de cartes de séjour, des gilets pare-balles, des menottes, des cagoules, 25 bâtons de dynamite, 12 détonateurs, 30 chargeurs, 1000 cartouches, trois pistolets mitrailleurs, trois fusils à canon scié, dix pistolets automatiques, sept revolvers... certaines de ces armes provenant d'ailleurs d'un vol commis dans un commissariat de Bastia ! Le Gros est condamné à huit ans et atterrit à la centrale de Saint-Maur, d'où il continue de gérer ses affaires tout en "organisant" la vie de la prison (concerts, tournois sportifs, aide aux détenus, etc. il monte même un petit orchestre et pousse lui-même la chansonnette - napolitaine en l'occurence).
Montreuillois contre Montreuillois : une guerre sans pitié
Pendant que Claude Genova est à l'ombre, une équipe de Montreuil commence à faire sérieusement parler d'elle. Des mecs que le Gros connaît bien, il les a vu grandir avec bienveillance, on dit même qu'ils auraient tapé des affaires ensemble. Il s'agit d'une famille manouche de la Boissière, les trois frères Hornec Jean-Claude, Mario et Marc, âgés de 25 à 38 ans, qui se sont attachés la fidèlité de jeunes voyous en herbe du 93, notamment celle de Nordine Mansouri dit la Gelée, de Clichy-sous-Bois, des deux frères Karim et Ihmed Mohieddine dit Jo, de Fontenay, de Mohamed Amimer dit Momo, de Noisy-le-Sec, et d'une poignée d'autres, tous triés sur le volet. Ils ont fait leur quartier général du Saint-Ex, un bar de Rosny tenu par Franky Berens, l'un des assassins présumés de Titi Peltier, qui a pris sous son aile tout ce petit monde quand ils ont commencé dans le grand banditisme au début des années 80. Et en la matière l'équipe n'est pas manchote, on leur attribut de très beaux braquages à Paris et en province... ce qui aura le don d'aiguiser les appétits du Gros.
En 1993 il demande à toucher sa part sur de très beaux coups que l'équipe aurait commis : l'attaque d'un fourgon blindé Sécuripost à Saint-Ouen en mars 93 pour un montant de 10 millions de francs, suivit trois mois plus tard d'une attaque similaire au même endroit pour 15 millions, ainsi que du braquage d'un centre-fort à Bayonne en août pour un total de 18 millions de francs. Les Hornec dépêchent alors Michel Thierry, un ami d'enfance associé à Franky Berens et ancien équipier de Titi Peltier (avant de retourner sa veste), pour aller faire comprendre aux fidèles du Gros qu'ils ne toucheraient rien. Le 25 novembre 1993 ceux-ci lui donnent une réponse définitive : vers 2h du matin Michel Thierry est abattu rue de Romainville à Montreuil par deux hommes cagoulés.
Trois mois plus tard, en février 1994, les fidèles de Genova parviennent à enlever Nordine Mansouri aka la Gelée, bien décidés à lui faire cracher l'oseille, et le séquestrent trois semaines durant dans une planque qu'ils appellent eux-mêmes entre eux le "gourbi". Claude le Gros en personne, profitant d'une permission les 10 et 11 février, se serait lui-même rendu au gourbi pour appliquer à Mansouri ses méthodes d'interrogatoire maisons. L'otage est finalement relâché contre rançon quelques jours plus tard, salement arrangé, n'ayant selon la légende dû sa survie qu'à l'intervention de son beau-frère Nordine Benali dit la Puce, un voyou chevronné entré dans l'orbite de Genova avec son frère Djamel quelques mois plus tôt.
La guerre est néanmoins désormais déclarée, et le Gros and Co ne prennent pas tout de suite la mesure de la menace. En face l'équipe Hornec se met en ordre de bataille, ultra méfiante, ses membres ne se déplaçant plus qu'en groupe et surarmés, partageant les mêmes planques. Un contrat d'un million 800 000 francs aurait même été lancé sur la tête du Gros, histoire d'aiguiser les appétits des éventuels rapaces de la prison de Saint-Maur. De son côté Genova fait la commande d'une voiture blindée, une Renault 25 V6 injection, et d'un gilet pare-balles Mac Douglas en prévision de ses permissions et de sa sortie prochaine. Mais les échanges d'artillerie n'attendent pas sa libération pour commencer à éclater.
Le 17 mai 1994 aux alentours de minuit Eric Pasquet dit Petit Riquet, 32 ans, l'assassin présumé de Michel Thierry, rentre de l'enregistrement d'une émission télé de Thierry Ardisson au Cirque d'Hiver à laquelle a participé son ami le boxeur Christophe Tiozzo. Accompagné du champion du monde des super moyens, de sa copine, et de deux lieutenants de Genova, Joël Guignon et Fayçal Marrefi dit Féfé le Brochet, il est au volant de sa Renault 25 lorsqu'un scooter le percute rue de Charonne dans le 11e. A peine Petit Riquet est-il descendu du véhicule pour se rendre compte des dégâts qu'il reçoit cinq décharges de chevrotine dans le dos et une balle dans la tête. Le 12 juin suivant c'est Joël Guignon, qui avait été chargé d'espionner l'équipe des frères manouches, qui est descendu à coups de fusil de chasse et de 11,43 par deux hommes surgis d'une R25 alors qu'il fait de la mécanique devant chez lui à Nogent-sur-Marne. Le lendemain une altercation éclate dans un bar de Colombes entre d'un côté Féfé Marrefi et José Luis Hernàndo dit Pépé, des fidèles du Gros, et de l'autre les deux frères Antonio et Robert Demestre, des ferrailleurs qui connaissent les Hornec mais n'ont rien à voir avec leurs affaires. L'embrouille tourne à la fusillade et seul Pépé en réchappe, les trois autres hommes y laissant la vie
Deux mois plus tard, à l'occasion d'une permission, Claude Genova est sollicité par un duo de voyous, Jean-Dominique Poletti et Kadda Hadjadj dit Karim, pour régler le différent qui oppose son ami Pépé à la famille Demestre, bien décidée à venger ses morts. Un rendez-vous est organisé le 22 août au bar panoramique du Palais des Congrès auquel le Gros se rend avec sa maîtresse, son chauffeur et la copine de ce dernier, les duettistes, et un petit pactole de 800 000 francs histoire de dédommager les plaignants et éviter une vendetta. Très confiant, n'étant même pas armé, Claude Genova ne sait pas qu'il a en fait été attiré dans un piège mortel. Après avoir attendu un bon moment les représentants de la famille Demestre qui ne sont pas venus au rendez-vous fictif le petit groupe quitte le café pour aller dîner à Senlis. Jean-Do et Karim partent de leur côté prétendument pour récupérer leur voiture garée plus loin, Genova et ses amis dans la direction inverse, sur le boulevard Gouvion-Saint-Cyr. Alors qu'il marche sur le trottoir une Volvo s'arrête à sa hauteur, un homme masqué en surgit armé d'un fusil à canon scié et fait feu sur Genova. Une première décharge envoie valdinguer le Gros à terre, la deuxième l'effleure et la troisième, en pleine tête, le tue net. Le tueur ramasse les douilles et rejoint en quatrième vitesse ses deux complices restés dans le véhicule qui disparaît à toute berzingue dans la nuit parisienne. Pendant le rendez-vous, la voiture de Genova où étaient entreposés les 800 000 francs a été dérobée. Rien n'arrête la cupidité des voyous, on finira par le comprendre.
L'année 1994 se clôt en beauté pour les ennemies de l'équipe Genova. Le 2 décembre ils finissent le ménage en dessoudant le dernier ravisseur encore en vie de Nordine Mansouri, à savoir Henri Ritz Alloun, abattu de trois coups de feu à Neuilly-sur-Marne juste après son acquittement dans une affaire d'assassinat. Visiblement ni lui ni ses amis n'avaient pris au sérieux le clan auquel ils s'attaquaient en février, pensant pouvoir commettre un coup de racket juteux sur leur dos sans avoir à en subir les conséquences. Dix mois et sept morts plus tard, on peut affirmer sans hésiter qu'ils se trompaient lourdement...
La mort de Claude Genova à l'âge 43 ans laisse en tout cas un boulevard à la nouvelle génération pour s'imposer, à la charnière entre Milieu dit "traditionnel" et Milieu des cités : les Marc et Mario Hornec, Nordine Mansouri dit la Gelée, Ihmed Mohieddine dit Jo l'Indien, Antonio Lagès dit Tonio le Portugais, Mohamed Amimer, Mohamed Driddi, Serge Lepage dit Sergio, Nordine Nasri dit Nono le Barge, Farid Saana dit l'Ecureuil, Boualem Talata dit Boubou, Antonio Ferrara dit Nino, Djilali Zitouni, Sofiane Hamli, Fabrice Hornec, Moussa Traoré et autres Hamid Hakkar qui règneront sur l'Ile-de-France dans les années 90. Sans oublier l'arrivée de nouvelles figures corses et marseillaises sur le devant de la scène parisienne (Richard Casanova, Roger Barresi, Francis le Belge, Joseph Menconi, Joël le Turc, Roland Cassone et quelques autres), et les "anciens" de la Banlieue Sud qui n'ont pas encore lâché le morceau (Jean-Pierre Lepape, Daniel "le Polonais" Abramovitch, Bernard Metge dit Gros Nanard, Michel "Poukit" Segovia, Michel Lepage, Alain Hellegouarch, Denis Drouot...).
Quelques fidèles de Genova, emmenés par les deux frères Benali, Nordine la Puce et Djamel, également connus pour avoir tapé des affaires avec un "historique" de la banlieue sud, Michel Lepage, auraient tout de même tenté de le venger. Dans la nuit du 23 au 24 mai 1995 deux boîtes que le clan Hornec tiendrait en sous-main, le Triangle à Andilly et le Fun-Raï à Evry, sont plastiquées tandis qu'un engin incendiaire est lancé à l'intérieur de la Comédia, un restaurant du Perreux-sur-Marne. Le 3 août suivant c'est Jean-Dominique Poletti qui paye sa complicité présumée dans l'assassinat du Gros : il est abattu par le passager d'une moto de gros cylindré avenue Robert-Schuman à Boulogne-Billancourt alors qu'il est en bas de chez lui au volant de sa voiture. Son complice Kadda Hadjadj part se mettre à l'abris quelques semaines plus tard en Algérie où il vit encore aujourd'hui, ayant investit dans le tourisme et la restauration.
Les frères Benali sont eux partis s'installer peu après dans le nouvel El Dorado du Milieu, la Costa del Sol espagnole, histoire de prendre leur part dans le nouveau pétrole du Milieu : le trafic de shit. Alliés à la puissante équipe de Karim Reguig dit Pascal le Turbulent ou simplement "le Turbu", l'un des plus gros trafiquant français d'Espagne, ils vont être mêlés à une terrible guerre des gangs entre expatriés hexagonaux. Tout aurait commencé avec l'assassinat de Jacques Grangeon, ex-braqueur de fourgons lyonnais recyclé dans le hash en gros, tué avec sa femme dans sa villa de Marbella le 5 octobre 1996. Quelques temps auparavant il aurait "fait marron" l'équipe du Turbu lors d'une grosse transaction de came, les frères Benali et leurs amis le lui ayant fait payer à coups de 11,43. Dans les années qui suivent ce n'est pas moins d'une dizaine de cadavres français que laisse cet affrontement sur le macadam andalou, jusqu'aux assassinats de Djamel Benali le 17 décembre 1999 à Fuengirola, puis celui de son frère Nordine le 5 octobre 2001 à Séville, abattu cinq ans jour pour jour après la mort de Grangeon et de sa compagne.
Finalement Claude Genova ne sera pas parvenu à atteindre son rêve, devenir le "parrain de Paris". Ou bien à la rigueur pendant à peine plus d'un an, lors de sa courte période de liberté en 88-89... Reste néanmoins qu'il fut bel et bien l'un des plus gros voyous parisiens de ces années-là, mais dont l'ambition et les méthodes causeront la perte. Assoiffé de pouvoir et impatient il s'était entouré de demi-sels recrutés à la va-vite, bien qu'il y ait eu quelques exceptions dans l'équipe comme celle notable des frères Benali. Il laisse en tous cas derrière lui une sale impression auprès de ses ennemies, et un très bon souvenir de bonhommie et de générosité chez ses proches et amis.
L'affrontement meurtrier entre son équipe et celle des Hornec a par ailleurs inspiré deux films dans les années 2000, très peu fidèles à la réalité des faits, des personnages et du Milieu parisien mais qu'il est toujours bon de mentionner : La Mentale de Manuel Boursinhac sortie en salle en 2002 et Truands de Frédéric Schoendoerffer en 2007.