Farid Berrahma. Partie 1/2 : Le Bad Boy de Marseille
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Non, il ne fut jamais surnommé "le Rôtisseur" par ses pairs du Milieu, ce surnom ayant été inventé par quelques policiers de l'Evêché et repris ensuite en boucle par de nombreux journalistes. Non, il n'était pas le "parrain des quartiers nord" comme on l'a souvent présenté de manière très simpliste. Non, son conflit contre les "Bergers du Venzolasca" n'était pas une guerre des Corses contre les Arabes, ni même un conflit des Anciens contre les Nouveaux. Non, il ne fut pas le premier voyou maghrébin à se hisser au niveau du grand banditisme, loin de là.
Une chose est sûre cependant : Farid Berrahma en a fait fantasmer plus d'un tout au long de sa carrière et continue de le faire encore aujourd'hui, près de 11 ans après sa mort. Revenons donc sur le parcours criminel de cette figure du grand banditisme marseillais à travers un article en parfaite continuité avec le dossier Trois Marseillais plein d'avenir publié tout au long de l'année dernière sur ce blog et retraçant les parcours croisés de Tany Zampa, Jacky le Mat et Francis le Belge. Comme une sorte d'épilogue à cette saga au long court embrassant près de cinquante ans d'Histoire du Milieu marseillais.
Véritable trait d'union entre le "Milieu tradi" dont il est issu et le "Milieu des cités" dont il a vu et accompagné la montée en puissance, "Fafa" est pour ainsi dire une figure à part à la trajectoire atypique dans le grand banditisme méridional, à cheval sur deux générations et sur deux modèles criminels, pas le seul dans cette position mais assurément le plus célèbre du côté de la région marseillaise, un peu à l'image d'un Nordine "Nono le Barge" Nasri en Ile-de-France - la comparaison entre les deux hommes s'arrêtant là. Son parcours est ainsi tout à fait symptomatique des évolutions du Grand Banditisme sudiste dans les années 90-2000 et semble en embrasser tous les aspects, des guerres des machines à sous aux conflits des boîtes de nuit, de l'explosion du trafic de haschich et de cocaïne aux vols à main armé, de l'émergence du Milieu des cités à l'installation pérenne des équipes corses sur la région marseillaise et au-delà. Nous en profiterons d'ailleurs pour faire un long focus sur ces derniers dans la partie 2, leurs guerres et leurs stratégies, le destin de ces équipes étant étroitement lié à celui de Berrahma.
Petit retour donc sur le parcours éclair et très violent de ce Bad Boy de Marseille, monté très vite dans la hiérarchie criminelle pour mieux finir sa carrière sous les balles de ses ennemies à l'âge de 39 ans, comme le voulait l'adage phocéen chanté par Akhenaton en 1997 dans le morceau du même nom : « Ma philosophie est telle un saule : s'élever vers les cieux pour replonger plus tard vers le sol. »
Le Dernier sera la premier
Dernier rejeton d'une famille de neuf enfants, Farid Berrahma voit le jour le 20 mai 1966 à Marseille et grandit au Parc Kallisté, aujourd'hui l'une des cités les plus miséreuse de la ville bien que son nom signifie "la plus belle" en grec. Surnommé l'Indien par ses associés, le Gris par les anciens, Gremlins par ses détracteurs et le Rôtisseur par les journalistes, Berrahma restera simplement "Fafa" pour ses proches, un petit frère aimant pour les huit aînés de sa fratrie et un oncle bienveillant pour sa vingtaine de neveux et nièces.
Son père, ouvrier agricole algérien venant faire régulièrement les saisons de l'autre côté de la Méditerranée dans les années 30, participera aux combats de la Libération en 1944 avant de venir s'installer en métropole du côté de Lyon avec femme et enfants, puis déménagera à Aubagne et enfin à Marseille, où né le petit Farid au mitan des années 60. Alors qu'il a 14 ans son père quitte les cités du nord de Marseille pour celles du nord de Salon-de-Provence, ville de 35 000 habitants située à 50 kilomètres de la cité phocéenne, et s'installe avec sa femme et son plus jeune fils (tous les autres enfants ont alors quitté le foyer familiale) dans le quartier HLM des Canourgues, alors fraîchement sortie de terre. Déjà peu assidu à l'école Fafa décroche complètement et finit par quitter le système scolaire quasiment analphabète.
Commencent alors les petits larcins, bien que le jeune adolescent continue d'accompagner son père de temps à autres sur les chantiers. Vols de voiture, vols à la roulotte et cambriolages sont au rendez-vous, dans la région salonnaise mais aussi du côté de Briançon et d'Annecy où vivent des membres de la famille. C'est d'ailleurs pour un vol commis dans cette ville qu'il connaîtra son premier séjour à l'ombre en 1988, quelques semaines, pour un vol à la roulotte alors qu'il est âgé de 22 ans. En parallèle Fafa commence à toucher un peu au shit, des petites quantités de un à cinq kilos venant alimenter le micro-trafic de la cité des Canourgues en ces années 80 où le bizness du hasch dans les quartiers HLM est encore bien loin du rendement maximal qu'il connaîtra à la fin des années 90 et après.
Bref, en ses jeunes années Farid Berrahma reste encore confiné dans le domaine de la petite délinquance. Mais dans sa vingtaine son destin va basculer : il apprend à cette époque qu'il est atteint d'un cancer depuis ses 17 ans et doit suivre une chimiothérapie. Le choc psychologique est énorme. Ne pensant plus vivre très longtemps le jeune homme de Salon change de perspectives, n'ayant désormais plus rien à perdre pour briller au firmament du banditisme.
C'est dans la même période qu'il fait opportunément la rencontre d'Eric Schöne, un ancien légionnaire de dix ans son aîné, fils de pieds-noirs né en 1954 à Sidi Bel Abbes, qui cherche à l'époque à s'entourer d'une jeune garde fidèle pour la bonne marche de ses affaires dans la région de Salon-de-Provence et dans le Vaucluse, principalement autour de Cavaillon (située à 25 kilomètres au nord de Salon). Ancien associé de la famille Belayel, qui règne alors sur plusieurs discothèques du coin, Schöne se serait embrouillé avec eux autour du monopole sur certains établissements et mis dans la tête d'en finir une bonne fois pour toutes pour rafler leurs affaires. L'occasion pour Berrahma de mettre un pied dans le grand banditisme au sein de l'équipe, entre extorsions de fonds, braquages et machines à sous clandestines. En parallèle, le conflit avec le clan Belayel arrive à son point de non-retour...
Le 19 mai 1990 Rachid-Robert Belayel se fait tirer dessus par un motard à travers la vitrine d'un bar de Salon et s'en sort sans plus de dommage. Le 3 septembre c'est cette fois Eric Schöne qui échappe à une tentative de meurtre. Il décide alors de mettre les bouchées doubles : Hacène "Cacou" Belayel, le père de Rachid, se sachant menacé et porteur de ce fait d'un gilet pare-balles, est abattu à Cavaillon dix jours plus tard, puis le corps de son frère Mustapha dit Michel est retrouvé dans le canal de Provence le 3 janvier 1991. Plusieurs protagonistes de la vendetta ayant été arrêtés dans la même période, les échanges de coups de feu ne reprennent que trois ans plus tard : Nicolas Belayel est alors retrouvé mort dans sa BMW à la Roque-d'Anthéron en juin 1994, puis son frère Rachid est abattu six mois plus tard devant des dizaines de témoins alors qu'il assiste à une vente aux enchères dans la salle des ventes d'Aix-en-Provence, lui-même porteur d'une arme à feu. Fin des Belayel.
Soupçonné d'être impliqué dans plusieurs de ces règlements de compte, Farid l'Indien est arrêté en juin 1991 avec d'autres membres de l'équipe et condamné à quatre ans pour vol avec violence et extorsion.
S'élever vers les Cieux...
Enchristé dans la toute nouvelle maison d'arrêt de Luynes, Berrahma profite de son incarcération pour combler ses lacune scolaires et surtout pour étoffer considérablement son carnet d'adresse, se liant notamment à un grand nom du Milieu marseillais : Antoine Cossu dit Tony l'Anguille, un caïd quinquagénaire au CV long comme le bras, grand spécialiste du braquage et beau-frère de Francis le Belge, qui se prend d'affection pour le petit gars de Salon. Qui, lui, trouve surtout là l'occasion de s'associer à une pointure du grand banditisme, un homme qui pourra lui faire rencontrer du très beau monde et lui laisse entrevoir des perspectives d'affaires pour le moins juteuses. « J'ai tout le temps été un seigneur avec lui » dira quelques années plus tard Tony Cossu.
En février 1995 c'est donc un Berrahma déterminé et affamé d'oseille qui sort de prison. Il retrouve son équipe de Salon qui commence à prendre du poids et à sérieusement s'étoffer, une nébuleuse très représentative de la génération 90 où se mélangent Gaulois, Gitans et Arabes (à l'image de ce qu'il se passe aussi en région parisienne et ailleurs - voire par exemple ma trilogie Les Caïds de Montreuil) : bien évidemment Eric Schöne et ses beaux-frères Serge et Yvon Fuentes, des durs à cuire nés à Toulouse en 65 et 66 et leur ami Jean-Luc Bellone, les frères Célestin et Philippe Emma, Laurent Trichard, Raphaël Limiñana dit Raph et son acolyte Abdel Djendoubi dit Smurf, tous deux venus des quartiers nord de Marseille, Bernard Martinez dit Petit Bernard, José Chelin...
Tout ce beau monde va alors profiter à merveille du désordre ambiant dans l'univers des machines à sous clandestines, ces anodines "baraques" (la plupart du temps de faux flippers ou de faux jeux d'arcade achetés à des sociétés de jeux tout à fait légales, souvent elles-mêmes tenues en sous main par des voyous) placées par le Milieu dans les cafés et bistrots des petites villes et des quartiers populaires depuis les années 70, rapportant très gros aux parties en présence (de 1000 à 10 000 euros par mois pour chaque machine, partagés entre l'équipe qui la place et le tenancier de l'établissement) pour des risques judiciaires excessivement faibles (deux ans de prison maximum).
Dans les années 90 c'est l'embellie et le bizness rapporte de plus en plus gros tandis que les équipes commencent à sérieusement se marcher sur les pieds, surtout dans le sud... les choses basculent réellement dans le chaos après l'assassinat en mars 1997 de Jeannot Toci, le frère de Tany Zampa, dans une guerre interne à son équipe pour le contrôle des centaines de machines à sous qu'il tiendrait dans les villes du sud-est (voir le chapitre "Toci : une fin en feux d'artifice" de mon article Années 90, Grandeur et Décadence). La machine s'emballe alors un peu partout, et le "Gang des Salonnais" - comme certains l'appellent - en profite pour récupérer de nombreux emplacements de baraques, notamment dans les villes industrielles de l'Etang de Berre, l'une des zones qui rapportent le plus en la matière, mais aussi autour d'Aix-en-Provence et dans l'ouest du Vaucluse (Cavaillon étant depuis ses débuts le deuxième fief de l'équipe dans la région), raflant également certaines affaires de tauliers opportunément incarcérés. L’équipe donne aussi, en parallèle des machines et des boîtes, dans les braquages en tous genres, notamment des attaques de banque, le casse de l'hippodrome de Salon et un ou deux fourgons blindés.
Un Indien entre Gremlins et Tontons Flingueurs
Dans cette mouvance salonnaise Farid Berrahma se détache tout particulièrement de ses camarades, son charme dur et son mutisme à toute épreuve faisant impression, mais aussi sa violence froide et sa détermination, et ce regard sombre toujours plus obscur. "Un mec très intelligent" selon Tony Cossu. En 1996 il se marie et obtiendra deux petites filles de cette union, se faisant dans la foulée acquéreur de deux boîtes de nuit à Cavaillon, le Zéphyr et La Suite.
Il se rapproche également à cette époque de figures des quartiers nord de Marseille alors en pleine ascension, notamment de Rexhep Topxhi dit Carlo ou le Tchétchène, un yougoslave arrivé en France en 1988 à l'âge de 26 ans et ayant combattu dans l'armée de libération du Kosovo, connu dans le Milieu pour son caractère pour le moins explosif, et surtout le mentor de ce dernier Saïd Tir dit Tintin. Cet "ancien" des cités marseillaises (il est né en 1951) venu du quartier Font-Vert dans le 14e, l'un des hauts lieux du trafic de drogue depuis les années 80 et sans doute le réseau le plus lucratif de Marseille avec ceux de la Castellane et de Bassens, s'est spécialisé dans la came et les machines à sous, emmenant avec lui quelques membres de sa gigantesque famille, aux profils très variés. Son oncle Mahboubi Tir par exemple, un "bienfaiteur" des quartiers nord, a donné son nom à une rue de la cité phocéenne tandis que son neveu Karim a lui été le manager du rappeur Jul - il sera abattu en 2012 dans le cadre de la "guerre de Font-Vert", une terrible vendetta qui coûtera également la vie à Saïd le 27 avril 2011. Très respecté de la jeune garde des cités marseillaises "Tintin" Tir prend alors Farid sous son aile et l'accompagne dans son ascension, l'équipe Tir/Topxhi collaborant désormais régulièrement avec les Salonnais sur plusieurs secteurs).
Dans le même temps Farid goûte de plus en plus régulièrement aux douceurs du climat andalou, et tout particulièrement sur la Costa del Sol du côté de Marbella. La plage, le soleil, les boîtes, les cocktails et les belles filles, certes. Mais c'est surtout pour traiter des affaires que le tropisme espagnol a autant d'emprise sur lui. Devenue depuis le milieu des années 80 la plaque tournante du trafic de shit et de cocaïne en Europe, la Costa del Sol est particulièrement prisée des voyous français en ces années 90 où le bizness explose et où tout le monde veut toucher sa part du gâteau. Fafa y retrouve son mentor Antoine Cossu et ses amis, noue des contacts et monte des parcours de came à destination des cités marseillaises et au-delà. S'appuyant autant sur les anciens du Milieu traditionnel (Cossu et le clan du Belge, l'équipe toulonnaise des frères Perletto, le Lyonnais Cristo Gandeboeuf, la bande de Saint-Gabriel, etc.) que sur les noms émergeants des quartiers HLM (des "doyens" comme Saïd Tir ou Georges Ben Mohamed dit Gros Jo de la Cayolle jusqu'aux jeunes vingtenaires des quartiers qui commencent à compter en centaines de kilos, voire en tonnes) Farid Berrahma devient petit à petit un des piliers du trafic et récolterait avec son équipe l'équivalent de 3 à 500 000 euros par mois grâce aux nombreux go-fast qu'il organise.
Fort de ce nouveau statut Berrahma serait notamment impliqué dans le réseau Topaze, un vaste trafic de drogue international (cannabis, cocaïne et héroïne) réunissant des ténors du Milieu hexagonal (voir le chapitre "Topaze et autres affaires" de l'article Années 90 : grandeur et décadence), et aurait également participé au réseau de cocaïne de Jean Ruimi et Jean Romera à destination notamment de la Camorra napolitaine, en association avec la famille Limiñana et des anciens de la French Connection (le chimiste "historique" André Bousquet et le trafiquant international William Perrin). A l'été '98 se sont cette fois près de 700 kilos de shit qui sont saisies par la douane à Montpellier, une cargaison qui aurait appartenue à l'équipe Berrahma qui la destinait selon certains à la filière de Marc Monge dit le Diable, sorte d'alter-ego vauclusien de Farid, qui comme lui vient d'une petite ville (Carpentras) et a connu son embellie grâce aux machines à sous après sa libération de prison en 1997, prêt à tout pour s'imposer sur le nord du Vaucluse et le Gard manu militari (impliqué dans de nombreux règlements de compte dans tout le sud-est, dont celui ayant coûté la vie à Jean Toci en 1997, Monge sera finalement abattu le 8 janvier 2000 à Paris).
Vu comme un mentor par la nouvelle génération maghrébine des cités marseillaises qui reconnaît en lui un modèle de réussite criminelle, Berrahma jouit alors d'une aura très puissante dans les quartiers nord (plus ou moins les arrondissements 13 à 16 de la cité phocéenne) et les HLM de tout le département. S'associant à ces nouveaux venus au grès des affaires, il accompagne leur ascension avec bienveillance et s'entoure au tournant des années 90 et 2000 d'une garde rapprochée venue directement des cités afin de faire tourner le bizness et lui servir d'hommes de terrain dans le domaine des machines à sous. Dans son giron on retrouve ainsi son beau-frère Djamel Merabet né quatre ans avant lui, les deux frères Lamine et Samy Adrar de la cité des Flamants dans le 14e, Hakim Benali dit Couscous, les frères Abderamid et Boumediene Rerbal de Vitrolles, Radouane Baha de Martigues, Didier Garcia dit Boule de la Solidarité, les frères Malik et Karim Boughanemi du Plan d'Aou, qui seraient d'ailleurs montés sur un braquage de fourgon blindé en décembre 2000 à Marseille avec Frédéric Gallus et Samir Oukkal, une affaire peut-être "drivée" par Fafa lui-même... Bref, autant de "gremlins" comme il les appelle lui-même (ce qui lui valut l'un de ses surnoms) prêts à tout pour leur chef. C'est qu'en cette fin des années 90 l'orage commence à gronder autour de Salon-de-Provence, et mieux vaut bien s'entourer. La police pourra d'ailleurs remarquer ce climat tendu lors d'une écoute téléphonique effectuée dans le cadre du réseau Topaze :
« -le Gris [Farid] a un paquet de mecs à se faire, au moins dix ou quinze
-Si tu l'écoutes, il veut tuer tout le monde, lui ! »
La Bataille des Salonnais
Le Gang des Salonnais est alors au faîte de sa réussite, gérant un large parc de machines à sous (on parle de plus de 300 baraques) en bonne entente avec les représentants de Francis le Belge dans le sud (son neveu Jean-Louis Marocchino et ses lieutenants Jean-Claude Zamudio et Jean-Marc Verdu notamment) et discrètement soutenus par l'équipe corse de Jacques Mariani, fils d'un baron du gang bastiais de la Brise de Mer, qui avance ses pions petit à petit dans le coin. Et comme bien souvent lorsque les sommes en jeux augmentent et que de fortes personnalités sont obligées de composer ensemble les balles ne vont pas tarder à siffler, et les barbecues à s'allumer un peu partout (une technique de règlement de comptes consistant à assassiner sa cible dans une voiture avant d'y mettre le feu afin d'effacer toute trace ADN et de compliquer l'identification du corps par la police). Une méthode qui sera tout particulièrement utilisée au tournant des années 90 et 2000 dans les différents conflits qui ensanglantent alors le sud-est.
Le 25 juillet 1998 Eric Schöne, 44 ans, le mentor de l'équipe des Salonnais, est abattu de 15 balles à la sortie d'une discothèque en plein centre de Cavaillon, vraisemblablement victime de dissensions internes. Pour un temps, les choses en restent là. Puis c'est une série de règlements de compte ratés mais non moins sanglants qui vont se succéder : le 9 février 1999 Raph Limiñana se fait tirer dessus par trois hommes armés de fusils à canon scié dans un bar des quartiers nord de Marseille, du côté du 16e arrondissement. Sauvé par son téléphone portable qui a dévié une balle potentiellement mortelle, c'est le patron de l'établissement Serge Laforgia qui est tué à sa place. En mai suivant c'est cette fois Farid Berrahma qui est ciblé à la sortie de l'une de ses boîtes de nuit à Cavaillon, aux alentours de 3h du matin : ayant laissé sa voiture à son ami Bernard Martinez, c'est ce dernier qui recevra les 53 impacts de chevrotine qui lui étaient destinés. Cinq mois plus tard le 5 octobre 1999 Abdel Djendoubi, l'acolyte de Limiñana en liberté conditionnelle dans une grosse affaire de trafic de drogue, s'entraîne dans une salle de boxe de Bon-Secours au début des quartiers nord lorsque deux tueurs font irruption dans le local armes au poing. Djendoubi saute alors du ring et s'enfuit par une porte dérobée à travers les vestiaires tandis que l'un des assaillants fait feu et blesse mortellement Karim, un lycéen de 17 ans qui préparait un CAP de chauffeur routier.
Une série sanglante qui a poussé Berrahma à se montrer de moins en moins souvent dans la région, recherché avec opiniâtreté autant par ses ennemies mortels que par les inspecteurs de police. Il part se mettre au vert en 1999 sur la Costa del Sol à Benalmadena près de Malaga avec sa femme et ses filles où il investit dans deux boîtes de nuit, Le Glamour et l'Ipanema Café, et continue de gérer son florissant bizness de shit, vendant désormais directement aux équipes de go-fasters marseillais, tandis que ses lieutenants font tourner son parc de machines à sous tant bien que mal.
C'est qu'entretemps les dissensions internes au sein de l'équipe ont pris du poids, aggravées par le braquage raté d'un fourgon de la Brink's à Coudoux près d'Aix-en-Provence le 18 juillet 2000, les convoyeurs ayant réussit à prendre la fuite à bord de leur véhicule malgré les tirs nourris du commando, qui aurait été composé de Farid Berrahma lui-même, de Célestin Emma, Laurent Trichard et des frères Serge et Yvon Fuentes. Ces deux là, réputés très dangereux et parfois surnommés "les Fous" par leurs pairs, commencent alors à soupçonner très fortement Berrahma d'avoir fomenté l'assassinat de leur beau-frère Eric Schöne deux ans plus tôt et décident d'en finir avec cet Indien trop ambitieux et ses amis, les litiges se multipliant autour de la répartition des gains liés à l'exploitation des machines à sous de l'équipe.
Le soir du 21 novembre 2000 ils auraient ainsi attiré Raphaël Limiñana, 42 ans, et Abdel Djendoubi, 30 ans, dans un guet-apens fatal : alors que les deux hommes sont armés et semblent attendre un rendez-vous visiblement tendu dans leurs voitures respectives sur le parking d'un hôtel de Vitrolles, un commando de quatre hommes les crible de balles avant de mettre le feu à leurs véhicules avec des cocktails Molotov. Deux semaines plus tard c'est un rival de Berrahma, Henri Tournel, salonnais de 34 ans notamment connu pour trafic de coke et lui-même fils de voyou, soupçonné d'avoir participé à l'offensive qui a faillit coûter la vie à Farid l'année précédente, qui est retrouvé mort dans le coffre d'une voiture incendiée sur un chemin du Puy-Sainte-Réparade, près d'Aix-en-Provence, le 6 décembre 2000. Lamine Adrar, un affidé de Berrahma venu des quartiers nord, sera d'ailleurs inculpé dans cette affaire pour complicité de meurtre.
En avril 2001 ce sont cinq hommes soupçonnés de préparer la manche suivante, un guet-apens programmé à Tarascon pour en finir avec les frères Fuentes, qui sont arrêtés dans le sud-est. Parmi eux se trouvent notamment Laurent Trichard et Saïd Tir, qui était allé se mettre à l'abris en région parisienne depuis le début des échanges d'artillerie pour éviter les balles indélicates, avant de descendre avec une équipe pour prêter main forte à son associé Farid Berrahma.
Acculés, les deux frères Fuentes se rabattent alors sur l'Hérault où ils commettent plusieurs braquages de banques avec les amis restés fidèles. Yvon en particulier se fait remarquer le 9 juillet 2001 dans une altercation à la sortie d'une boîte de nuit du Cap d'Agde durant laquelle il ouvre le feu sur un videur puis sur les policiers venus sur place. Il est finalement arrêté en bas de sa planque deux semaines plus tard à Port-la-Nouvelle dans l'Aude alors qu'il vient de monter à bord de sa BMW, porteur d'un pistolet 9mm à la ceinture avec une balle engagée, d'une grenade à portée de la main cachée dans sa boîte à gant et d'un pistolet-mitrailleur dans le coffre de sa voiture, tandis que son complice Jean-Luc Bellone est lui interpellé à Montpellier et qu'un lance-roquettes et de nombreux chargeurs sont retrouvés lors des perquisitions. En attendant son procès Yvon ne peut que pleurer la mort de son grand frère depuis sa cellule : Serge Fuentes, 36 ans, a en effet été retrouvé tué par balles le 17 octobre 2001 dans sa voiture incendiée, près de Rognac.
Farid Berrahma lui, toujours planqué en Espagne d'où il gère la bonne marche des affaires et continue de toucher le jackpot avec les stups, est finalement appréhendé le 30 novembre 2001 à Benalmadena dans une opération "en douceur" ayant nécessité l'intervention d'une centaine de policiers espagnols, qui découvrent également 900 kilos de shit entreposés dans un box voisin. Incarcéré en terre ibérique, Berrahma est finalement transféré vers la France en août 2004 à la maison d'arrêt de Luynes, la justice hexagonale voulant l'entendre pour son implication supposée dans un trafic de drogue international, le fameux dossier Topaze.
L'hécatombe continue
Entretemps d'autres Salonnais vont continuer de tomber, au grès des sorties de prison des uns et des autres : le 25 août 2003 Célestin Emma est tué dans sa voiture à Salon-de-Provence par deux hommes surgis d'un fourgon, puis son frère Philippe est abattu par un commando de quatre tueurs le 16 octobre suivant dans une carrosserie de la ville, et le 10 novembre c'est Gilbert Monardo qui disparaît avant d'être retrouvé mort sept mois plus tard au fond du canal de Provence. Deux jeunes déserteurs de la Légion Etrangère, soupçonnés de travailler pour l'équipe, sont appréhendés dans le cadre de ce dossier. Le 18 février 2004 c'est Alain Tournel, 64 ans, père d'Henri Tournel assassiné trois ans plus tôt par l'équipe Berrahma, connu pour trafic international d'héroïne au temps de la French Connection, qui est retrouvé mort dans une voiture à Luynes.
Au même moment la tension semble également monter entre les amis de Farid et son ancien allié Rexhep Topxhi, le "fils spirituel" de Saïd Tir. La police soupçonne notamment Jean Romera et Jean Ruimi, un parent de Raphaël Limiñana, tous deux connus avec leurs fratries respectives pour trafic de drogue, proxénétisme et braquage de fourgon, d'avoir programmé l'assassinat de Topxhi en 2004 car l'accusant d'avoir participé au barbecue du Primotel de Vitrolles (qui avait coûté la vie à Raphaël Limiñana et Abdel Djendoubi), sans avoir le temps de mettre leur projet à exécution (ils sont arrêtés en novembre pour un vaste trafic de cocaïne entre la Colombie, la France et l'Italie et pour deux meurtres commis en 2002 à Marseille dans le cadre de ce même réseau).
A la même époque, en mars 2004, Hakim Benali dit Couscous, supposé être l'un des hommes de terrain de Berrahma dans les machines à sous et l'une des mains meurtrières de certains "barbecues", est assassiné à Marseille pour un contentieux autour des baraques avec Antoine Tamseddak dit Tony, un lieutenant supposé de Topxhi connu pour braquage de fourgon. Le beau-frère de la victime, Hamadi Krimi, patron du Rive Neuve sur le Vieux-Port, monte alors un commando pour venger son proche : le 25 octobre 2004 Alain Casanova s'introduit dans un bar de la Joliette pour y abattre Tamseddak, mais le patron de l'établissement Jean-Claude Memoli parvient à le désarmer et commence à le rouer de coups sur le trottoir lorsqu'un complice posté à l'extérieur, peut-être Krimi lui-même ou bien son ami Périclès Miniotis, lui tire une balle de kalachnikov mortelle dans le thorax. En décembre 2004 Tony Tamseddak échappe de nouveau à une tentative d'assassinat : ce jour-là dans le quartier de la Capelette, où vit sa famille, une charge explosive placée sous sa voiture sautait juste avant qu'il n'y monte avec sa femme, sans faire plus de dégâts. Le voyou marseillais était finalement abattu devant son domicile avenue des Olives dans le 13e arrondissement le matin du 8 juillet 2005 par plusieurs hommes ayant ensuite pris la fuite en direction d'Aubagne.
Enfin, dernier soubresaut le 18 juin 2007 lorsque Laurent Trichard, 42 ans, membre de la première heure de l'équipe de Salon et fraîchement sortie de prison où il était incarcéré pour avoir programmé l'exécution des frères Fuentes en 2001, est abattu à la terrasse d'un snack du quartier des Chartreux à Marseille par un homme casqué qui fait feu sur lui à cinq reprises avant de prendre la fuite sur un scooter T-Max conduit par un complice. L'un des assassins présumés, Jean-Baptiste Fuentes, 27 ans, un parent des fameux frères, est arrêté le lendemain soir à la cité de la Marine Bleue dans le 14e alors qu'il chahute bruyamment avec un ami, au cours d'une interpellation mouvementée pendant laquelle un policier est assommé d'un coup de casque. Trois semaines plus tard un autre salonnais connu pour braquage, Belkacem Belananne, 42 ans, était assassiné dans le quartier des Canourgues par deux hommes armés d'un fusil à pompe et d'une kalachnikov, une affaire peut-être complètement étrangère au reste mais que certains ont lié à la "mouvance Berrahma". Les habitants du quartier qui a vu grandir Farid s'en étaient alors pris aux forces de l'ordre à qui ils reprochaient de ne pas vouloir couvrir le corps du défunt.
Dix ans et une vingtaine de cadavres, c'est donc ce qu'il aura fallu au Gang des Salonnais pour s'annihiler complètement. Mais nous avons oublié un nom sur la liste des disparus, et de taille : celui de Farid Berrahma en personne, passé entretemps de vie à trépas, comme nous le verrons dans le prochain article. En 2005 il sort en effet de prison, près à tout pour récupérer ses territoires, jusqu’à s’attaquer à une très grosse équipe corse. Ce qui causera sa perte.
Nous verrons ceci dans le prochain article, qui traitera également longuement de l’emprise des équipes insulaires sur la région marseillaise mais aussi sur les guerres souterraines qui les mettent aux prises les unes avec les autres, un conflit mutliforme qui connaîtra son paroxysme en 2008-2009. Publication prévue le dimanche 2 avril.