Farid Berrahma. Partie 2/2 : L'indien et les Bergers
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Marseille Interdite, histoire du Quartier Réservé
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Comme nous l’avons vu dans l’article précédent Farid Berrahma a connu au cours des années 90 une ascension fulgurante, et tout particulièrement entre 1995 et 2001, date de son arrestation en Espagne, s’activant à fond dans le bizness des machines à sous clandestines (les fameuses "baraques") et du trafic de drogue. Ayant pris petit à petit la tête du Gang des Salonnais et devenu un véritable mentor pour la jeunesse criminelle des quartiers nord de Marseille, une terrible guerre fratricide le mettra aux prises avec ses anciens alliés au tournant des années 90-2000 et coûtera la vie de bon nombre de beaux voyous du cru.
Farid Berrahma lui, réfugié sur la Costa del Sol d’où il continue de gérer ses affaires, passera au travers des balles, protégé après 2001 par les hauts murs espagnols. Mais pendant son incarcération les choses bougent sérieusement à l’extérieur, comme toujours dans ce milieu où les statu quo ne durent jamais très longtemps, sans cesse assujettis aux aléas des arrestations impromptues et des morts subites.
La nouvelle situation, elle, semble tout particulièrement profiter aux équipes corses dans le sud-est. L’occasion pour nous de faire un long focus sur les clans insulaires, de leur installation pérenne sur le Continent aux guerres intestines qui les ont lourdement touché dans la deuxième moitié des années 2000.
Les Corses se partagent melons et calissons
Alors que Farid Berrahma végète donc dans sa prison madrilène, les conflits d’intérêt entre voyous corses semblent en effet fortement s’accentuer autour d’Aix-en-Provence et de Marseille. Un nœud d’intérêts divergents et de jeux d’influence cristallisé autour de la nébuleuse de la Brise de Mer, un puissant gang bastiais né dans les années 80 ayant connu son embellie grâce à d’audacieux braquages en série, réinvestissant les millions accumulés aussi bien dans les domaines illégaux (drogue, machines à sous...) que légaux (bars et boîtes de nuit, cercles de jeux et casinos, immobilier, sociétés de distribution de boisson, sociétés de sécurité...), étendant autant son emprise sur la Corse que sur la côte méditerranéenne et la capitale. Du très très lourd en somme. Et pendant l'incarcération de Farid, les choses bougent sérieusement dans le coin.
L'équipe de Francis Mariani, pilier de la Brise de Mer, et de son fils trentenaire Jacques, qui avait commencé à s'implanter dans la région d'Aix-en-Provence dès 1998 et s'était imposée sur les machines à sous et les rackets de discothèque en évinçant définitivement les amis de Francis le Belge au début des années 2000 (voir le chapitre "Redistribution des Cartes" de l'article Francis le Parisien et Jacky le Retraité), connaît en effet à l'époque quelques revers judiciaires.
Ayant vraisemblablement pris le partie de Berrahma pendant la guerre de Salon, c'est un nouveau coup dur pour la sauvegarde des affaires du caïd : Jacques Mariani est incarcéré en septembre 2001 pour les assassinats de trois jeunes nationalistes corses ayant fait suite à une tentative qu'il avait lui-même essuyée au mois de mars précédent à Bastia.
Son père Francis est lui rattrapé par la justice en janvier 2002 après sa rocambolesque évasion "par fax" (!!) de la prison de Borgo l'année précédente ; leur allié José Menconi, l'une des principales figure de leur équipe, se retrouve à l'ombre en 2003 pour le meurtre d'un légionnaire et plusieurs braquages de fourgons blindés, arrêté en même temps que le Marseillais Alexandre Chevrière à Aubagne, seul "baron" de la Brise de Mer à ne pas être corse ; leurs principaux soutiens dans le sud-est que sont Nino Merlini et Christian Oraison, de solides caïds de Manosque membres de l'équipe de braqueurs hauts-de-gamme dite de la Dream Team, sont eux arrêtés fin 2000 pour leur participation à un braquage de fourgon à Gentilly ; Alexandre Vittini enfin, un autre "fils" de la Brise de Mer (son père Daniel en serait l'un des membres), très proche de Jacques Mariani, se met en cavale puis se fait appréhender en 2006 pour plusieurs affaires liées aux activités de ses petits camarades.
Bref, les grosses têtes de l'équipe Mariani sont alors toutes à l'ombre. A cette même époque Ange-Toussaint Federici dit Santu, 43 ans, un braqueur taiseux et violent venu de la plaine de la Casinca au sud de Bastia, sort en octobre 2003 de huit années d'incarcération.
Prenant la tête de la bande des Bergers de Venzolasca, dite aussi bande des Bergers-Braqueurs, bande de la Casinca ou bande de la Plaine, il s'équipe avec plusieurs membres de sa famille (ses frères Frédéric et Jean-François, son fils Augustin dit Tintin, son cousin Paul Bastiani) et d'autres durs à cuir de l'Ile de Beauté, au premier lieu desquels Jacques Buttafoghi, Toussaint Acquaviva, Antoine Quilichini et surtout Jean-Luc Germani, beau-frère d'un géant du banditisme corse, Richard Casanova, l'un des principaux fondateurs du gang de la Brise de Mer - dont il s'est quelque peu éloigné pour mener à bien ses propres affaires, florissantes.
Début 2004, main dans la main avec Casanova, la bande de la Casinca va ainsi profiter de l'incarcération de l'équipe Mariani et de celle de Berrahma (dont les plus gros alliés sont soit morts soit à l'ombre) pour avancer ses pions sur leurs territoires autour d'Aix-en-Provence et de l'Etang de Berre mais aussi dans le Vaucluse et le Var, mettant notamment la main sur un certain nombre d'établissements de nuit et de machines à sous autrefois dans le giron du caïd de Salon.
Autant dire qu'à l'approche de sa sortie Fafa Berrahma est en train de bouillir dans sa cellule de la prison de Luynes. Mais peut-être que cette fois le morceau est un peu trop coriace pour lui...
Le Retour du Boss
Incarcéré pendant trois ans à Madrid pour trafic de stup' (la guardia civil avait retrouvé 900 kilos de shit dans un box voisin de sa villa) Farid est finalement extradé vers la France en août 2004, ayant été condamné par la justice française à dix ans de prison par défaut pour association de malfaiteurs pendant sa "villégiature" espagnole. Il est finalement relaxé dans ce dossier pour vice de forme et libéré à l'été 2005 (d’aucuns murmurant qu'il ai fait jouer de ses relations pour s'attirer la mansuétude du juge), restant à la disposition de la justice pour être entendu dans le dossier Topaze (un vaste trafic de drogue impliquant plusieurs grands noms du Milieu français) et astreint de ce fait à un contrôle judiciaire.
Officiellement il s'installe donc à Annecy chez un de ses frères et va pointer au commissariat de Marseille toutes les semaines. Officieusement il se fait hyperactif sur le terrain des baraques et des stups, et en la matière il a fort à faire.
Réactivant ses réseaux il monte de nouveaux parcours de came et rappelle à lui la jeunesse ambitieuse des quartiers nord. Bouraoui Ghardaoui, 26 ans, est notamment de ceux-là, un jeune de la Granière dans le 15e ayant connu Fafa en prison et lorgnant sur les réseaux du secteur, notamment celui de la Solidarité qui pèserait dans les 200 000 euros par mois, l'un des cinquante "terrains" que compte officieusement la ville. Ghardaoui le dispute alors à un certain Farid Regaoui, 30 ans, une figure du 15e alors en pleine ascension proche de gros bonnets du Milieu, à savoir les frères Campanella, qui malgré l'intervention de Berrahma pour régler le litige n'entend pas se laisser faire;
Le soir du réveillon 2006 une voiture est criblée de balles de pistolet-mitrailleur et de 9mm par les passagers d'une Subaru sur le boulevard Pierre Dramard, à deux pas de l'Hôpital Nord. Bouraoui Ghardaoui, touché de plusieurs impacts, parvient à s'extraire du véhicule et décède dans un bosquet voisin, tandis qu'à l'intérieur gît le corps d'un jeune de la Solidarité mort sur le coup et qu'un troisième passager, originaire de Gennevilliers en banlieue parisienne, est blessé aux jambes. La compagne de Ghardaoui se suicidera trois mois plus tard en prison, où elle était incarcérée pour sa complicité supposée dans un trafic de drogue.
Farid Regaoui payera lui l'affront de la Saint-Sylvestre dix jours après le règlement de compte : cette après-midi là il est pris en chasse sur son scooter par un puissant 4x4 Mitsubishi à l'entrée de la cité Campagne-Picon et violemment percuté, ses poursuivants le criblant de huit balles de pistolet-mitrailleur dans le corps.
Didier Garcia enfin, 42 ans, surnommé Boule et supposé être le "logisticien" du réseau chargé de gérer les go-fast pour Berrahma-Ghardaoui, est "rafalé" à coups de kalachnikov par ses ennemies le 10 décembre 2006 alors qu'il circule en voiture dans le 15e arrondissement avec sa compagne, blessée par trois balles perdues. On lui aurait reproché d'avoir volé une importante quantité de drogue et d'argent à l'équipe qui avait pris le relais dans la cité, possiblement épaulée par l’un des frères Regaoui.
Un conflit sanglant auquel aurait donc pris part Farid Berrahma, mais qui n'est pas au cœur des préoccupations de Monsieur. Le centre de ses soucis serait en effet d'un tout autre niveau : reprendre la main sur ses boîtes et sur son parc de machines à sous et, pourquoi pas, monter très, très haut, plus haut que jamais il ne l'a été.
Il s'équipe alors avec sa nouvelle garde rapprochée et s'acquiert le soutien de quelques grands noms. On dit que les frères Michel et Gerald Campanella, de très gros poissons venus des Aygalades dans les quartiers nord, proches des frères Barresi, de Roland Cassone et du clan Mariani, seraient notamment de ceux-là ainsi que, pour un temps du moins, Jean-Luc Germani.
Sûr de sa force et de son bon droit, Farid part donc à la reconquête de son territoire bille en tête, et on lui oppose peu de résistance tant il semble déterminé et prêt à tout, s'attaquant notamment aux biens de son ancien allié Rexhep Topxhi alors incarcéré et de Frederic Sbyszynski dit le Polonais, un caïd des Alpes-de-Haute-Provence basé à Digne-les-Bains. C'est que Fafa n'a plus grand chose à perdre à cette époque : son cancer s'est en effet "réveillé" depuis peu, et l'Indien de Salon compte bien arriver à ses fins avant de passer l'arme à gauche.
Particulièrement remonté contre les Corses qui ont marché sur ses plates bandes, au premier lieu desquels ceux appartenant à l'équipe des Federici et compagnie, Berrahma aurait déboulé en force dans un de leurs QG pour leur expliquer sa façon de penser, le bar-restaurant la Rotonde à Aix-en-Provence, propriété de Paul Lantieri, un entrepreneur venu du sud de l'Ile-de-Beauté et très lié au grand banditisme insulaire. Quelques semaines plus tard, Farid Berrahma commet l'irréparable.
...pour retomber plus tard vers le sol
Courant 2006 la tension monte donc sérieusement avec les insulaires, et l'équipe Berrahma s’embrouille durement avec un de leurs relais dans les Bouches-du-Rhône qui avait refusé de céder à ses revendications : Roch Colombani, 36 ans, un corse de Vitrolles connu pour trafic de drogue et supposé allié des Bergers-Braqueurs dans les machines à sous, patron d'un bar et ayant des intérêts dans plusieurs établissements marseillais, grand ami d'Augustin Federici, fils d'Ange-Toussaint, et très lié à la famille corse des Costa, proche de la Brise de Mer.
Le 23 mars 2006 il est criblé de 60 balles de pistolet-mitrailleur, de 11,43 et de fusil de chasse par quatre passagers d'un véhicule qui lui a barré la route alors qu'il circule en 4x4 Mercedes sur la départementale 20 près de Rognac.
La réponse de l'équipe adverse est presque immédiate et survient dix jours plus tard, le 4 avril, date à laquelle Colombani aurait dû fêter son 37e anniversaire. Farid Berrahma se trouve ce soir-là dans une petite brasserie des quartiers nord, les Marronniers avenue des Chutes-Lavie dans le 13e, et regarde le match de foot Lyon-Milan AC avec son proche lieutenant Radouane Baha et Heddie Djendelli, neveu du tenancier de l'établissement, mais aussi Karim Boughanemi, un trentenaire connu pour meurtre et braquage de fourgon, dans le giron de Berrahma depuis le début des années 2000. Et vraisemblablement le traître qui a renseigné le commando adverse.
Vers 21h30 trois puissantes voitures déboulent devant le bar et cinq à six hommes cagoulés surgissent dans l'établissement armés d'une kalachnikov, d'un fusil à pompe et de pistolets 9mm et Colt 45 devant une dizaine de clients médusés. C'est alors un déluge de feu qui s'abat sur Farid Berrahma et ses collègues. Le caïd de Salon n'a pas le temps d'esquisser le moindre geste vers le Glock qu'il porte à la ceinture et reçoit quatorze balles mortelles dans le corps. Son ami Radouane Baha est lui touché à sept reprises et meurt sur le coup, tandis qu'Heddie Djendelli, grièvement blessé, décède dans la nuit à l'hôpital. Karim Boughanemi est quant à lui très légèrement touché, ainsi qu'un consommateur qui reçoit une balle dans le pied.
Deux jours plus tard c'est Michel Filippi, 35 ans, qui est abattu près du boulevard Baille à deux pas de l'hôpital de la Timone par le passager d'une moto. Connu pour braquages et trafic de drogue, à la tête d'un important réseau d'héroïne démantelé en 1999 à la cité Frais-Vallon, ce "chaud bouillant" redouté pour sa tendance au racket avait été vu en affaires avec Berrahma récemment.
Le lendemain, Abderamid Rerbal est exécuté de 16 balles par un commando circulant en deux-roues sur le parking du Decathlon de Bouc-Bel-Air alors qu'il transporte un petit kilo de cocaïne dans le coffre de sa voiture. Certains estiment que les Corses ont là "fini le travail", d'autres que c'est la propre équipe de Berrahma qui l'a abattu car le pensant mêlé à la fusillade des Marronniers.
L'Indien de Salon quant à lui n'est plus, abattu à 39 ans pour s'en être pris aux mauvaises personnes, au mauvais moment. Certains ont d’ailleurs vu dans son attitude une forme de suicide déguisé, les armes à la main. Farid devait en effet subir une lourde opération dans les jours suivants la fusillade, et n'était pas sûr de pouvoir s'en tirer indemne. D'où son étrange manque de prudence le soir de sa mort, lui qui était réputé très méfiant et se savait en danger, allant jusqu'à tourner le dos à la porte d'entrée de la brasserie des Marronniers pour regarder un match de foot dont il n'avait pas grand chose à faire.
Dernier rejeton d’une fratrie de neuf enfants, laissant derrière lui deux petites filles et une vingtaine de neveux et nièces, Farid était le seul membre de sa famille à avoir rencontré le bras de la justice pour des faits de banditisme... jusqu'à ce procès de juillet 2015 concernant un important trafic de cocaïne démantelé en 2012 et alimentant les cités des Flamants et des Iris dans le 14e ainsi que la région Cannoises.
A la tête de cette organisation on retrouve son beau-frère Djamel Merabet, 52 ans au moment des faits et déjà connu pour trafic de stupéfiants, qui aurait pu compter sur la complicité de sa femme Michèle Berrahma, la sœur de Farid, qui se voit condamnée à un an de prison avec sursis. Djamel lui en prend pour douze et se met en cavale. Son principal associé Gérard Clar dit le Géant, 59 ans, beau-frère du baron de la Brise de Mer Alexandre Chevrière et déjà condamné à 16 ans de prison pour une bagarre qui avait coûté la vie à un jeune marseillais sur le Cours Julien en 1996, prend neuf ans.
Le chef présumé du réseau du 14e à qui était destinée une partie de la came, Samy Adrar, 32 ans, proche de l'homme politique Karim Zéribi dont il aurait été l'homme de main lors de sa campagne de 2007 et autrefois dans le giron de Berrahma avec son frère Lamine, est condamné à 6 ans ferme. L'acheteur cannois de l'équipe, Farid Krimou, 42 ans, supposé lié au vol des bijoux de l'émir du Bahreïn en 2005, prend quant à lui sept ans. Les autres prévenus, surnommés les « papys-dealers » du fait de leur âge (des quinquas et des sexagénaires), prendront de 2 à 5 ans de prison.
Des Marronniers marseillais aux Châtaigniers corses
Mais revenons un instant à la brasserie des Marronniers. Les policiers arrivés sur place après la fusillade découvrent la scène de crime : deux morts, l'un à l'entrée de l'établissement et l'autre dans la salle du fond, un blessé grave qui mourra quelques heures plus tard, un blessé léger touché au pied, et 28 douilles de calibre 45, de calibre 9, de calibre 7,62 et de calibre 12. Un autre blessé léger, le fameux Karim Boughanemi, s'est lui discrètement éclipsé, recherché pour l'assassinat en octobre 2005 d’un rival au milieu d'une fête foraine installée près du Vieux-Port.
Les inspecteurs de police retrouvent aussi trois machines à sous dans le bar-restaurant et inculpent le tenancier, Tahar "Tony" Aggoune, qui les ferait tourner pour le compte d'une discrète figure des quartiers sud marseillais : Georges Ben Mohamed dit Gros Jo, 53 ans, supposé principal fournisseur de stupéfiants de la plus grosse cité du 9e arrondissement, la Cayolle, qui fait aussi dans les baraques et les boîtes de nuit, proche des Barresi et des Campanella, et assez influent pour "toucher" dit-on des conseillers municipaux des 9e et 10e arrondissement et le propre maire de Marseille Jean-Luc Gaudin.
Mais surtout la police scientifique retrouve à l'extérieur de l'établissement des gouttes de sang qui courent sur une trentaine de mètres, gouttes qu'elle suppose appartenir à l'un des membres du commando, gravement touché au genoux par une balle qui a ricoché alors qu'il était allé achever Farid Berrahma au fond de l'établissement. Rapidement les analyses ADN démontrent que ce sang appartient à Ange-Toussaint Federici lui-même, discrètement soigné sous un faux nom dans une clinique privée du sud de Marseille grâce à l'entregent de Paul Lantieri, l'entrepreneur qui a investit des millions à Aix-en-Provence, appelé en catastrophe par les mêmes hommes qui auraient exfiltré en douceur "Santu" de la clinique après l'opération : son bras droit Toussaint Acquaviva, son cousin Paul Bastiani et son petit frère Jean-François Federici.
En cavale, "ATF" est finalement arrêté le 12 janvier 2007 place de la Madeleine à Paris en compagnie d'un pilier de son équipe, Jacques Buttafoghi. Lors de son procès fin 2010, clamant n'être qu'une victime collatérale de la fusillade des Marronniers où il s'était rendu pour voir la rencontre Lyon-Milan AC et boire un Vittel, il est condamné par la cour d'assise d'Aix-en-Provence à 28 ans de réclusion criminelle.
Lors du procès en appel à Draguignan deux ans plus tard les "témoins surprises" se succèdent à la barre, du simple observateur qui aurait vu Federici entrer seul aux Marronniers bien avant la fusillade au vieux corse qui l'aurait accompagné à la clinique Clairval, en passant par le patron de l'établissement et une cliente qui dans un premier temps avaient catégoriquement nier la présence d'Ange-Toussaint au comptoir du bar avant de changer de version quelques mois plus tard, jusqu'à Karim Boughanemi lui-même qui vient dédouaner l'accusé.
Le lendemain la compagne et le cousin de Boughanemi sont interpellés sur le parking de l'aéroport de Marignane alors que deux Corses leur remettaient une enveloppe contenant 70 000 euros en espèces, complément des 60 000 euros qui leur avaient déjà été remis avant le témoignage !
Incarcéré à la prison de Saint-Maur pour homicide, Boughanemi aurait été approché par un autre détenu pour aller témoigner en faveur d'Ange-Toussaint Federici : Jacques Mariani lui-même, pourtant connu pour être un rival "en guerre froide" avec Santu, qui aurait été contacté par des proches du clan Federici pour agir. Aux enquêteurs venus l'interroger, Mariani lâche : « ennemis à l'extérieur ? Possible. N'empêche, alliés à l'intérieur. La prison, je la souhaite à personne, on n'est pas des salopes », tandis qu'une écoute téléphonique vient compléter la déclaration : « On leur montre qu'on n'est pas des enculés, on n'a pas peur qu'il sorte ».
Se disant complètement étranger aux manigances de Mariani, Santu Federici semble voir derrière son intervention une tentative de "trucage" du procès à ses dépends : « S'il a voulu me faire du bien, il m'a tué, s'il a voulu me faire du mal, il a gagné ». Ange-Toussaint Federici est finalement condamné à 30 ans de réclusion criminelle le 15 octobre 2012, assortie d'une période de sûreté de 20 ans. Pendant ce temps son équipe avait continué de manger du terrain, désormais sous l'égide de Jean-Luc Germani.
Des péripéties dont Farid Berrahma ne pourra être le témoin. Crapule sanguinaire pour les uns, beau voyou courageux pour les autres, "Fafa" a laissé une trace indélébile dans l'imaginaire marseillais de ce début de millénaire. Et pas toujours de manière négative, ayant tout autant cultivé une image de dur à cuir que de bienfaiteur dans les quartiers nord, comme le montre cette anecdote rapportée par le journaliste Philippe Pujol dans son livre La Fabrique du Monstre, qui la tient d'un habitant du quartier Saint-Joseph : « Farid montait les escaliers et, en passant devant chez moi, il a vu ma petite - elle avait 8 ans - qui pleurait. Il s'est agenouillé, lui a demandé pourquoi, et elle lui a montré les huissiers et les types qui vidaient tout chez nous. Il a demandé au mec en costume à combien montait ma dette puis a passé un coup de fil. Ensuite, il est monté sans rien dire. Vingt minutes après, un type arrivait en scooter TMax et filait 11 000 euros à l'huissier en lui disant fermement de dégager sans poser de questions. Je n'ai pu remercier personne. Je ne les ai jamais revus ».
Mais si l'on prend un peu de hauteur, on peut également voir l'assassinat de Farid Berrahma comme l'un des rouages d'un conflit plus large qui est alors en train de sérieusement s'emballer du sud au nord de la Corse. Un conflit tentaculaire aux fronts multiples et aux alliances complexes, en gestation dès les années 2004-2005 qui ont vu la tension monter petit à petit. Rapide focus donc sur ces guerres sans merci, pour mieux saisir les intérêts en jeu dans cette affaire.
ANNEXE :Les Batailles Corses
Dans la région marseillaise comme on l'a vu, notamment autour d'Aix-en-Provence et de l'Etang de Berre, les choses commencent à bouger après l'OPA lancée début 2004 par la bande de la Casinca emmenée par le clan Federici et Jean-Luc Germani, soutenue par l'ancien baron de la Brise de Mer Richard Casanova, grignotant petit à petit les biens mal acquis de Jacques Mariani et ses amis. Le père de ce dernier, Francis Mariani, autre ponte du gang bastiais, nourrit d'ailleurs à l'égard de son ancien camarade Casanova une vieille rivalité qui ne demande qu'à exploser en cette période de tentions.
En Corse-du-Sud c'est autour du mirobolant marché de la sécurité que se cristallisent les dissensions, à travers la brouille qui éclate en 2004 entre deux anciens du mouvement indépendantiste MPA (rebaptisé ironiquement Mouvement Pour les Affaires), Yves Manunta et Antoine Nivaggioni, qui avaient créé ensemble la SMS (Société Méditerranéenne de Sécurité) quelques années plus tôt. Manunta se rapprochera alors de la bande du Petit Bar, très puissante autour d'Ajaccio, emmenée par Ange-Marie Michelosi et Jacques Santoni et évoluant dans l'orbite du puissant chef de clan du golfe du Valinco Jean-Jé Colonna, tandis que Nivaggioni fera appel au soutien de son vieil ami Alain Orsoni, lui aussi un très influent ancien du MPA, et à la bande de la Casinca.
Ajoutez à ça la sourde détermination de l'équipe du Petit Bar pour régner sans partage sur la région ajaccienne, cause de plusieurs règlements de comptes entre 2002 et 2004, et vous avez tous les ingrédients pour rendre la situation on ne peut plus plus explosive.
Du côté de la Corse-Afrique aussi la tension monte, le géant des jeux sur le continent noir qu'est Robert Feliciaggi dit Bob l'Africain, appuyé dans l'ombre par Jean-Jé Colonna, voyant d'un très mauvais œil l'expansionnisme de son ancien associé Michel Tomi qui a trouvé des alliés de poids en les personnes de Richard Casanova, Jean-Luc Germani, la bande de la Casinca et Jean-Luc Codaccioni, son fils spirituel qui a évolué un temps sous la houlette du clan Colonna.
A tous ces éléments il faut ajouter : une vendetta larvée dans la région de Corte entre la famille Mattéi-Rogliano, qui a frayé avec la Brise de Mer dans les années 80, et la famille Costa, dont deux frères - Maurice et Dominique - sont des piliers de cette même Brise de Mer et étroitement liée au clan Federici ; mais aussi des associations bancales dans les cercles de jeux parisiens entre plusieurs protagonistes du banditisme corse (le Concorde, le cercle Haussmann, l'Eldo, le Wagram...), associations qui ne demandent qu'à voler en éclat au premier coup de tonnerre ; sur le Continent ce sont d’anciens membres de l’équipe de la Dream Team, au premier lieu desquels Nino Merlini, Christian Oraison et Karim Maloum, qui réclament à leurs associés corses liés à la Brise de Mer de plus en plus énergiquement leur part du gâteau après le braquage de Gentilly le 26 décembre 2000, ce qui a tendance à irriter les uns et les autres ; sans oublier qu'Alain Orsoni et son fils Guy sont en conflit larvé avec le clan Castola, proche allié du Petit Bar, pour des histoires de dettes non honorées et se verraient bien en nouveaux patrons de la région ajaccienne (on retrouvera notamment une lettre adressée par Orsoni aux Castola disant : "le gibier n’a pas coutume de payer les cartouches du chasseur qui veut le tuer. Donc allez-vous faire enculer ! Ne vous approchez plus de mon fils, s’il le faut j’enlèverai la race ! ").
Les choses semblent s'emballer lorsque Jean-Luc Codaccioni, l'ami de Michel Tomi et de Richard Casanova dans les affaires corso-africaines, essuie une tentative d'assassinat à l'été 2005, qu'il impute à la bande du Petit Bar. Un peu plus tard c'est le plus gros allié financier de Jean-Jé Colonna, Robert Feliciaggi, qui est tué le 6 mars 2006. Plusieurs de ses proches disparaissent dans les mois qui suivent.
En novembre 2006 nouveau cataclysme : Jean-Jé meurt dans un accident de la route. Francis Mariani et un autre pilier de la Brise de Mer, Pierre-Marie Santucci, se rendent à ses obsèques main dans la main avec Ange-Marie Michelosi, le mentor de la bande du Petit Bar, affichant ainsi leur soutien clair aux héritiers du clan Colonna face au groupe de Richard Casanova et Michel Tomi.
Colonna mort les bergers de la Casinca en profitent d'ailleurs pour évincer quelques mois plus tard en juin 2007 l'homme de confiance qu'il voulait imposer sur le cercle de jeux Concorde, Paul Lantieri, et placent à la tête de l'établissement leur protégé Edmond Raffali, source de nouvelles tentions avec le clan du Valinco et leur ami marseillais Roland Cassone (lors de son procès en 2010 il déclarera à propos de Federici et compagnie : « s’ils ont fait cela, je peux les qualifier de porcs ! Et pour que tout le monde l'entende, je le répète : de porcs ! » ).
En novembre 2007 c'est Francis Mariani qui essuie une mystérieuse tentative d'assassinat dont il se persuade rapidement que Jean-Luc Germani et son beau-frère Richard Casanova sont les instigateurs. Le 23 avril 2008 il abat ainsi son vieux rival Casanova à Porto-Vecchio, avec l'assentiment des anciens de la Brise de Mer et peut-être du clan Colonna. Nouveau coup de tonnerre sous le ciel corse, et c'est alors que la machine infernale des règlements de compte se met réellement en branle.
Au nord les anciens de la Brise de Mer tombent les uns après les autres tandis que la vendetta entre les clans Mattéi et Costa se réveille et fait des ravages dans la région de Corte. Au sud c'est le clan Colonna et la bande du Petit Bar, alliée à Yves Manunta, au clan Michelosi et au clan Castola, qui paye un lourd tribu à la guerre qui les oppose aux anciens du MPA emmenés par Guy Orsoni et son père Alain, revenu en Corse en 2008 officiellement pour racheter l'AC Ajaccio, et leur ami Antoine Nivaggioni, liés en arrière plan à l'équipe Germani-Federici, tandis que les cadavres se multiplient aussi sur le Continent.
On a ainsi un ensemble de fronts aux contours complexes, divisés en deux grands groupes qui se répartissent très schématiquement ainsi : d'un côté Richard Casanova et ses alliés Michel Tomi et Jean-Luc Codaccioni, Jean-Luc Germani et ses amis du clan Federici et de la Casinca, Antoine Nivaggioni et les anciens du MPA emmenés par Alain Orsoni, ainsi que la famille Costa. En face on retrouve les barons de la Brise de Mer Francis Mariani, Pierre-Marie Santucci et les frères Guazelli, Robert Feliciaggi et ses alliés du clan de Jean-Jé Colonna, le gang du Petit Bar emmené par Jacques Santoni et le clan Michelosi, leurs alliés du clan Castola, sans oublier l'ancien du MPA Yves Manunta qui aurait été l'instigateur du conflit qui enflamme la région d'Ajaccio.
Au moins 40 hommes tomberont dans cet affrontement multiforme, dont de très nombreuses figures de premier plan : Francis Castola et les siens, Robert Feliciaggi, Jean-Jé Colonna et son cousin Jean-Luc, Richard Casanova, Daniel Vittini, Ange-Marie Michelosi, Francis Mariani, Pierre-Marie Santucci, Francis Guazzelli, Christian Oraison, Jacques Buttafoghi, Benoît Grisoni, Antoine Nivaggioni, Nino Merlini, Yves Manunta, Maurice Costa - pour les plus lourds - mais aussi l'avocat Antoine Sollacaro, l'ancienne élue Marie-Jeanne Bozzi et le président de la chambre du commerce et d'industrie de Corse-du-Sud Jacques Nacer !
Et l'équipe qui semble alors tirer tout particulièrement son épingle du jeu c'est celle de Jean-Luc Germani, qui a pris une nouvelle stature après la mort de son beau-frère Casanova et l'arrestation de son allié Ange-Toussaint Federici, emmenant avec lui plusieurs figures de la Casinca et de Calenzana (village d'où viennent de nombreux grands voyous insulaires, ce qui en fait une sorte de "Corleone corse" selon certains, en référence à la célèbre commune sicilienne).
Pendant un temps tout roulera pour le mieux pour ces voyous endurcis, jusqu'à ce qu'une partie de l'équipe ne finisse dans les mains de la justice pour avoir évincé par la force en 2011 les gérants de deux cercles de jeux parisiens, L'Eldo et le Wagram, notoirement tenus par les frères Guazzelli, anciens de la Brise de Mer proches du clan Mariani à qui Germani et consorts reprochaient d'avoir "oublié" les héritiers de feu Casanova dans la répartition des gains. Les membres de l'équipe se mettent alors en cavale et sont tous rattrapés les uns après les autres : Stéphane Luciani et Jean-Luc Germani à l'automne 2014, Antoine Quilichini en septembre 2015, et enfin les deux frères Frédéric et Jean-François Federici en janvier 2015 et février 2016.
Jacques Mariani quant à lui a été libéré de prison le 27 février dernier après 16 années de réclusion, qui ne l'avaient pas empêcher de continuer à gérer ses extorsions de fonds à l'abris des hauts-murs. Tout le temps nécessaire pour élaborer de grands projets. Ou bien pour penser à se réinsérer honnêtement, qui sait ?