Une société de plus en plus violente... ah bon ???
Avant d'entrer dans le vif du sujet avec des articles sur le Milieu à proprement parlé, un petit mot sur l'évolution de la criminalité en France, rapidement en passant.
Car s'il est une croyance populaire indémodable et profondément incrustée dans nos esprits bien solide, c'est bien celle qui veut que la société est de plus en plus violente, que l'insécurité est en expansion constante, que les rues ne sont plus sûres, les jeunes de plus en plus vindicatifs et de plus en plus précoces... quelques chiffres objectifs vont quelque peu à l'opposé de ces certitudes.
Les homicides volontaires pour commencer. Mis à part une augmentation notable entre 1970 et 1984, ils sont en chute continue depuis la fin du XIXe siècle (hors périodes de guerre). Des statistiques claires existent depuis 1974, et montrent bien que le taux d'assassinat est en baisse très nette en France. Les chiffres qui suivent incluent également les tentatives d'homicides qui n'ont pas débouché sur le décès de la victime, gonflant indéniablement les chiffres de ces dernières années étant donné que, par la présence de caméras de surveillance et autres systèmes de contrôle, et une plus grande tendance de la population à faire appel à la police, de moins en moins de crimes passent inaperçus. Voici donc l'évolution du taux d'homicides et tentatives en France ces 40 dernières années :
1974 : 5,4 homicides pour 100 000 habitants
1979 : 5,6
1983 : 6,8
1984 : 6,5
1989 : 5
1994 : 5,2
1999 : 3,9
2004 : 3,9
2009 : 3,3
2012 : 3,5
Si l'on ne prend en compte QUE les homicides sans les tentatives, l'évolution est peu ou proue la même, avec 2.75 homicides pour 100 000 habitants en 1988, 3.1 en 1993, 2.1 en 98, 2 en 2003, 1.6 en 2008, 1.3 en 2012 et 1.1 en 2013.
Les enquêtes de victimation, qui consistent à faire des sondages en questionnant un échantillon représentatif de la population sur les agressions subits, les vols, les violences etc. et d'établir avec les résultats obtenus des statistiques à peu près fiables, montrent la même tendance général et sont beaucoup plus proches de la réalité que les statistiques policières (qui dépendent des dépôts de plainte et des crimes et délits constatés). Ces enquêtes n'existent malheureusement que depuis le début des années 2000, et on ne peut avoir d'évolutions sur le long terme.
Quelques résultats montrent néanmoins une tendance à la baisse de la criminalité dans les années 2000 : les vols en général sont passé d'environ 4,9 millions en 2006 à 4 millions en 2011 (alors que la population, elle, a augmenté), les vols de voiture de 1,8 millions en 2006 à 1,3 millions en 2013. Les cambriolages en revanche sont en augmentation ces dernières années : 475 000 en 2006, 600 000 en 2011, 598 000 en 2013. Sur le long terme c'est par contre là aussi une baisse que l'on observe selon les enquêtes de victimation : 4.66% des ménages ont été victime d'un cambriolage en 1984-85 contre 3.65% en 2012-2013. Les victimes de vols avec violence sont passées de 0,9% de l'ensemble de la population de plus de 14 ans en 2006 à 0,6% en 2012, les victimes de vols sans violence de 2,2% à 1,7% sur la même période, les victimes de violences volontaires de 1,5% en 2006 à 1,7% en 2007, puis 1,4% en 2012. En Ile-de-France les victimes d'agressions (physiques et verbales confondues) sont passées de 6,7% de la population âgée de 14 ans et plus en 2001 à 5,7% en 2011.
En somme NON la violence n'est pas en pleine expansion. Il est vrai que je ne dispose pas de chiffres plus récents, mais la certitude d'une "explosion de la violence" était déjà présente en 2011 ou 2012 alors qu'on voit bien qu'il n'en est rien dans la décennie 2000. Par contre qu'il existe d'autres formes de violence qui, elles, seraient en augmentation n'est pas impossible (violence sociale, psychologique, comportementale, institutionnelle, économique, etc.), mais aucunes données chiffrées ne sont là pour affirmer ou infirmer cette hypothèse.
Les vols à main armée
Venons-en maintenant à un point qui concerne d'un peu plus près le sujet de ce blog (qui a pour thème, rappelons-le, la grande criminalité en France), à savoir le braquage et la supposée extrême violence de ses auteurs qui serait très nouvelle par rapport aux périodes passées. Je ne dispose pas de statistiques vraiment fiables sur les braquages avant la fin des années 80, mais il semble bien cependant qu'ils aient explosé dans les années 70, après une décennie 60 assez calme en la matière (également au niveau des vols avec violence d'une manière plus générale si l'on en croit certaines études).
On passe ainsi de 6500 attaques à main armée en 1987 à 11 000 en 1993 (année record), puis 8500 en 1995, 8000 en 1999, 9000 en 2002, 4800 en 2008, 5500 en 2009, 4700 en 2010, 4300 en 2011, 4000 en 2012 et 4000 en 2013. Si l'on prend en compte l'évolution de la population qui a augmenté de 20% entre 1987 et 2013, on passe de 11,7 braquages pour 100 000 habitants en 87 à 19,2 en 1993, puis à 6 pour 100 000 en 2013. Un type de crime en chute libre donc malgré ce qu'on entend souvent (-68,75% en vingt ans). Le "bon sens populaire" voudrait également que les braqueurs soient de plus en plus violents, n'hésitant plus à tirer sans sommation en toutes occasions. Là aussi les chiffres disponibles depuis les années 70, qui recensent le nombre d'homicides à l'occasion d'un vol en France, montrent l'exact opposé. Après une poussée inexorable de 1974 à 1993, les homicides pour vols passant d'environ 150 à près de 500, on redescend à 140 meurtres en 2001, puis à 60 en 2012. Rapportées à la population française totale, on a ainsi une chute de 64% entre 1974 et 2012, et de 89% par rapport à l'année record de 1993. Les voleurs sont donc beaucoup moins violents aujourd'hui qu'hier, indéniablement, du moins pour ce qui concerne la violence extrême (le meurtre).
Autre idée reçue : les délinquants ne respectent plus l'uniforme, on n'hésite plus à tirer sur la police alors qu'autrefois c'était beaucoup plus rare etc. etc. En la matière je ne dispose pas de statistiques précises, mais les chiffres des policiers tués dans l'exercice de leurs fonctions sont plus que parlantes, bien que la majeure partie de ces décès sont dus à des accidents (accidents de voiture, accidents dans le maniement d'une arme, accidents pendant l'entraînement, etc.) et non à des homicides volontaires, qui concernent en général entre un tiers et un cinquième du total des morts dans la police. Voici donc ces chiffres :
1980 : 30 policiers tués dans l'exercice de leurs fonctions
1983 : 20
1986 : 27
1989 : 26
1992 : 11
1995 : 17
1998 : 20
2001 : 11
2004 : 9
2007 : 8
2010 : 7
2013 : 5
2015 : 3 (au 15/10/2015)
Les règlements de compte entre malfaiteurs et le "cas marseillais"
Entrons maintenant dans un domaine qui concerne entièrement le sujet de ce blog, à savoir les règlements de compte.
Les statistiques ne montrent pas là non plus d'augmentation du nombre d'homicides entre criminels, malgré le cliché classique qui veut que les gangsters d'aujourd'hui se tuent plus qu'hier. Après une véritable explosion dans les années 80 et un pic en 83, la fin des années 90 connaît les chiffres les plus bas auxquelles succède une période de hausse au début des années 2000, puis une stabilisation basse après 2008. Voyons ça de plus près :
1974 : 85 règlements de compte entre malfaiteurs en France enregistrés par la police
1977 : 115
1980 : 125
1983 : 184
1986 : 139
1989 : 121
1992 : 107
1995 : 94
1998 : 39
2001 : 97
2004 : 102
2007 : 58
2010 : 42
2013 : 51
Il s'agit maintenant de se pencher sur une ville sur laquelle on dit tout et n'importe quoi depuis la sur-médiatisation de sa délinquance depuis 2011-2012 : Marseille. C'est pas très nouveau, Marseille a régulièrement fait les choux gras de la presse depuis les années 30 qui a toujours aimé y voir le Chicago français. Ces dernières années la tendance a été de dire que la nouvelle génération se tuait beaucoup plus qu'auparavant, sortant les armes à tout propos, tirant n'importe comment dans tous les sens, et les victimes étant de plus en plus jeunes avec une prédilection pour une arme en particulier : la célèbre kalachnikov, qui serait utilisée à tort et à travers.
Premier point sur cette histoire de kalachnikov : c'est pas vrai, tout simplement. Il y a bel et bien des assassinats à la kalachnikov à Marseille et dans les Bouches-du-Rhône, mais beaucoup moins que ce qu'on voudrait nous faire croire : si l'on en croit le listage des règlements de compte fais par divers sites (La Provence, France 3...) en 2010 trois hommes étaient tués par l'arme russe dans les Bouches-du-Rhône, en 2011 quatre, en 2012 huit, en 2013 six, en 2014 cinq et en 2015, pour l'instant du moins, six. C'est évidemment trop. Mais ça n'est pas non plus l'avalanche de meurtres à l'arme de guerre que laissent sous-entendre les médias locaux et nationaux.
Quant à l'âge des victimes, il y a indéniablement un rajeunissement général. En 2010 deux mineurs de 16 ans étaient ainsi tués dans des règlements de compte à Marseille, en 2011 un de 17 ans, et de nouveau un jeune homme de 17 ans en 2013. Antoine Cossu dit Tony l'Anguille, célèbre gangster marseillais et par ailleurs beau-frère de Francis le Belge l'a lui même déclaré : "Au fond ils sont pareils que nous. Sauf que ce qu'on faisait à vingt ans, eux ils le font à 15".
Mais il ne faut pas non plus exagérer ce rajeunissement. En 2010 la moyenne d'âge des victimes de règlements de compte dans les Bouches-du-Rhône était de 31 ans, en 2011 de 36 ans, en 2012 de 31 ans, en 2013 de 26 ans, en 2014 de 32 ans, en 2015 de 35 ans, et enfin de 32 ans pour l'ensemble de la décennie 2010. A titre de comparaison, la moyenne d'âge des victimes de règlements de compte dans les Bouches-du-Rhône entre 1993 et 2000 était de 37 ans, donc sensiblement plus élevée mais rien de probant non plus. La majeure partie des personnes impliquées ne font donc pas partie de la catégorie des "jeunes" (la fourchette de 15-25 ans étant en général admise).
Les chiffres généraux des règlements de compte à Marseille depuis 1982, date à laquelle commencent les données précises, contredisent également l'image d'une criminalité devenue folle et ultra sanglante. Dans les années 60, selon Eugène Saccomano dans son livre Bandits à Marseille sortit en 1968 il y aurait eu 5 règlements de comptes à Marseille en 1965, 6 en 1966 et 17 en 1967. Si on élargit à l'ensemble des Bouches-du-Rhône on peut imaginer qu'ils étaient moins d'une dizaine en 65 et 66, et vingt ou plus en 1967. Pas de chiffres pour les années 70, mais quand on voit que la seule "tuerie du Tanagra" en 1973 a fait 4 morts à elle seule (cinq ans plus tôt en 1968 ce sont trois hommes qui ont trouvé la mort dans le même bar), ou que celle du Bar du Téléphone a emporté dix hommes d'un coup, on peut imaginer que la décennie ne fut pas des plus calmes. Pour le reste, voici les chiffres :
1984 : 20 règlements de compte entre malfaiteurs dans les Bouches-du-Rhône
1985 : 44
1986 : 45
1987 : 28
1988 : 31
1989 : 21
1990 : 20
1991 : 18
1992 : 14
1993 : 18
1994 : 6
1995 : 7
1996 : 14
1997 : 11
1998 : 12
1999 : 7
2000 : 8
2001 : 6
2002 : 14
2003 : 12
2004 : 16
2005 : 12
2006 : 15
2007 : 7
2008 : 16
2009 : 16
2010 : 14
2011 : 17
2012 : 25
2013 : 17
2014 : 15
2015 : 12
Ca montre au passage que l'hypothèse de Xavier Raufer d'un "triangle de la mort" dans le sud-est de la France qui aurait vu le nombre de règlements de compte explosé entre 1993 et 2001 est... une énorme connerie étant donné qu'au contraire c'est la période la plus calme des trente dernières années dans le Milieu marseillais !
Enfin une dernière donnée en passant histoire d'enfoncer encore un peu plus le clou : entre 2007 et 2014 le nombre de braquages dans les Bouches-du-Rhône est passé de 714 à 478, et le nombre d'homicides volontaires de 30 à 23. Donc NON Marseille n'est pas une ville de plus en plus violente, et son Milieu non plus.
D'ailleurs dans son livre Truand, lorsque le gangster Emile Diaz raconte sa jeunesse dans le quartier de la Belle-de-Mai au début des années 50, force est de constater les similitudes avec les quartiers populaires actuels. Extrait : « Je vais grandir dans le quartier de la Belle-de-Mai, tenu par les apaches, dans lequel les condés entraient sur la pointe des pieds. C'est d'ailleurs l'un de mes premiers grands souvenirs, entendre les guetteurs, placés à l'entrée de la rue, qui crient : "La Police!", courir, à trois ou quatre ans, et crier à mon tour : "La police ! Les condés !", pendant que les grands balancent des pierres sur les flics pour les ralentir, ce qui permettait de cacher les armes ou la fausse monnaie, de les planquer notamment sous de faux planchers, ou de préparer la cavale de ceux qui étaient recherchés ». Et de continuer plus loin : « L'école à la communale [l'école primaire] de la Belle-de-Mai, c'est un lieu de bagarre, de racket, l'école du crime. Nous savions que nous finirions en prison car nous ne parlions que de vols, de meurtres, tout en étant fascinés par les grands voyous. Un mec qui avait tué un bijoutier, considéré comme un bourgeois, c'était un mec bien. […] Comme on ne se volait pas entre nous, faute d'être riches, on rackettait les enfants des bourgeois de la Belle-de-Mai, essentiellement des commerçants, qui allaient à l'école des curés. On les appelait les Croa-croa, les grenouilles de bénitier. Il nous suffisait de traverser la place Bernard-Cadenat, il y avait même Francis le Belge, dit le Ge-bel, il avait trois ans de moins que moi, il était petit mais il était avec nous, et quand les gamins sortaient de l'école, on faisait tous : "Croa, croa, croa", avant de leur voler le goûter. Aujourd'hui on parlerait de racket, pourtant il faut relativiser : c'était juste un peu d'argent, un jouet, des bonbons. Des petites choses. Jusqu'au jour où j'ai utilisé une carabine à plomb. J'avais accroché un gamin à plusieurs reprises et comme il ne voulait pas payer, je lui ai tiré dessus et crevé l'oeil ». Imaginez un peu le scandale aujourd'hui si on apprenait qu'un gamin en école primaire ait tiré à la carabine sur un gosse qui ne voulait pas céder à ses rackets, lui crevant l'oeil par la même occasion ! Pourtant à l'époque pas une ligne dans aucun journal (il faut dire que Jeanne, la tante et mère adoptive du petit Emile, a fortement dissuadé la famille d'aller porter plainte).
Les souvenirs d'école de William Perrin en Normandie dans Mémoires d'un vrai voyou sont du même accabit. Nous sommes à la fin des années 30 : « C'est à l'école que j'ai appris à me battre. Mon grand frère était un faible et un con fini. Il portait des lunettes, ce qui était rare à l'époque. Quand les autres approchaient pour le frapper, il partait en courant. C'est moi qu'ils attaquaient. Je prenais des roustes tous les jours, ça m'a rendue hargneux. Vers cinq, six ans j'ai commencé à aller à l'école avec un bâton à la main. Quand on m'approchait, je me défendais. Je laissais le bâton à l'entrée de l'école et je le reprenais le soir. A huit ans, l'âge de la grand école, j'étais déjà solide. J'ai vite compris les règles de la bagarre. Quand ça tourne mal, faut pas attendre. Faut prendre tout de suite les devants. Si tu attends, c'est toi qui est marron. Deux coups de tête et le mec tombait raide par terre. Je frappais avec le front, il était surpris », mais de rajouter ensuite, soyons honnête « A l'époque on se battait à la loyale, pas comme aujourd'hui où ils sautent à sept ou huit sur le même type : il touche même pas terre ».
En revanche force est de constater qu'il y a un lieu qui s'est vraiment métamorphosé, surtout à partir des années 90 : c'est la prison. Autrefois le pire ennemie du détenu c'était le maton, parfois très violent, aux punitions et privations très arbitraires. Aujourd'hui le pire ennemie du détenu c'est l'autre détenu, les plus balèzes, les plus méchants et les plus nombreux faisant la loi, infligeant corrections, rackets, et passages à tabac. Sur ce point les témoignages des "anciens" sont tous sur la même longueur d'onde. Les détenus étaient déjà très durs autrefois (on ne compte pas dans le passé les histoires de bagarre ou de poignardages dans les salles de cinéma, les bibliothèques, les douches...) mais un cran a très clairement était dépassé dans le courant des années 90, lorsque la "génération des cités" est venue remplir les cellules de Fresnes ou des Baumettes, y important vacarme, violence irrationnelle et "gamineries". Par contre les clichés selon lesquels la prison "c'est l'hôtel", ou que dedans ou dehors "ils font la même chose de toutes façons"... ne sont toujours pas d'actualité messieurs-dames !
Bon on va finir là-dessus je crois. Promis j'éviterai de sortir du sujet qui nous intéresse à l'avenir. La bise.
Sources : ORCDS, Ministère de l'Intérieur, INSEE, CNRS, Wikipedia, CESDIP 1 et 2 , ONDRP, La Provence, France 3 Régions